- Incrustation de Rafaël -

A la lumière tamisée de sa chambre, Rafaël passait en revue les différents documents posés sur ses genoux. Textes d'une vingtaine de pages, photos et croquis, tout était là... ou presque. Presque, parce que chacune des photos s'arrêtaient à environ vingt centimètres du haut des peintures rupestres. Et sans ce morceau de mur qui lui manquait, la gitane ne pouvait pas déchiffrer les différents messages des ruines. Elle était complètement coincée.
Alors, que faire ? Y retourner pour prendre les photos manquantes au risque de ne jamais ressortir de la grotte ? Ou bien aller à la rencontre de l'imbécile qui avait dû perdre les précieux documents et lui faire la fête ? Sous-entendu, frapper timidement à la porte du lieutenant et marmonner qu'elle ne pouvait continuer ses recherches s'il lui manquait la moitié des photos. Si ça se trouvait, les clichés étaient toujours dans l'appareil de Neel, ou pire, il n'avait peut-être tout simplement pas pris ce pan du mur en photo ? La gitane soupira et se prit la tête entre les mains. Non, vraiment, elle ne pouvait pas travailler dans ces conditions.

Alors elle se leva, s'habilla – elle avait passé la matinée à traîner au lit – et attrapa les photos. Si Neel ne le voyait pas de ses yeux, il ne la croirait pas, cet idiot. Elle ouvrit le verrou intérieur et sortit, descendit dans les couloirs sans encombre, trouva la porte du lieutenant. Était-il là ? Elle frappa, si discrètement que ce ne fut peut-être pas entendu à l'intérieur. Quoique. Elle tendit l'oreille. Il y avait du bruit à l'intérieur, elle perçut vaguement un éclat de voix. Et puisque Neel était plutôt du genre à rester dans son lit ou sur son bureau en grognant d'entrer sans bouger le moindre orteil, elle crut qu'elle avait eu l'autorisation d'entrer. Elle ouvrit donc la porte.

… Et tomba sur la vision d'Aaron et Neel, contre le mur.

« Ne te fous pas de moi. »

Cracha le lieutenant, un poil agressif. Choquée, la gitane se figea. Son regard gris glissa sur leurs silhouettes collées, de leurs visages à la main de Neel posée à un endroit... comment dire, assez intime. Sous la surprise, elle recula, inquiète, et se cogna le dos contre le pas de la porte. Sous le choc, la gourde laissa tomber toutes ses photos, qui s'éparpillèrent au sol dans un léger bruit. Rafaël bafouilla.

- Pa... Pardon.

Elle se trouva soudain de trop, et au comble de la gêne. Aux portes de l'angoisse même. Et attendez... cette tête, que faisait Aaron. Leur position. Est-ce que l'affreux rouquin n'était pas en train de forcer son ami, là ?

- SOS -

Face à l'étonnante scène dont elle venait d'être témoin, Rafaël ne savait plus sur quel pied danser. Neel et Aaron, contre le mur, dans une position des plus ambiguës. La main très basse, qui ne laissait plus aucun doute quant à l'attention du lieutenant. Et la pauvre sbire sentit tout son être se figer d'effroi, basculée brusquement dans des souvenirs peu agréables. Les photos lui tombèrent des mains et s'éparpillèrent sur le sol sans qu'elle ne pense à se baisser pour les ramasser. Puis Aaron réagit :

« Tiens, Raf ! Tu tombes à pic... Besoin d'aide ? »

Il faisait comme de rien, mais Rafaël l'avait vu, le remerciement silencieux qu'avaient lancé ses yeux. Elle ne s'en sentit que plus inquiète et son aversion pour le rouquin augmenta d'un cran. Elle jeta un regard à la fois apeuré et colérique au lieutenant, ne remarquant même pas qu'Aaron s'était baissé pour ramasser ses documents. Parce que bon, Aaron, aider quelqu'un... enfin, bref.

« Je ne t'ai pas demandé d'entrer, grogna Neel. Qu'est-ce que tu veux ? »

Rafaël se braqua un peu plus. Oh mais elle avait frappé, et elle avait cru entendre une réponse de la part du lieutenant Rocket. Elle s'était trompée, certes, mais elle ne le regrettait pas. Son regard se posa sur Aaron qui se redressait, le front un peu luisant, le regard exprimant une certaine reconnaissance qu'elle ne lui connaissait pas vraiment. Elle s'adoucit et tenta un léger sourire qui ne s'exprima qu'à demi. Elle ne s'en sentait pas la force, vu la situation. Elle avait vraiment eu peur pour son ami.

- Merci... souffla-t-elle lorsqu'il lui tendit les documents qu'il venait de ramasser.

Elle le regarda un instant. Ça allait, il n'avait rien. Il sortirait d'ici indemne, elle ne partirait pas avant. Son visage fermé se releva alors vers Neel pour l'observer un instant, partagée toujours entre une sourde inquiétude et une colère nouvelle. Elle désigna les photos d'un léger geste. Et pour une fois, comme à leur première rencontre, la discrète et effacée sbire montra un certain caractère.

- Les documents, il m'en manque. Vous ne m'avez pas tout donné et je ne peux pas travailler comme ça.

Oh, oui, elle exprima dans son intonation un gros très gros sentiment de reproche. Il ne méritait que ça, cet abruti de lieutenant. Ce type aussi aimable qu'une porte, et violeur, en plus. Alors qu'elle avait légèrement commencé à lui faire confiance depuis qu'ils travaillaient sur les ruines, tout se brisa à ce moment-là. La gitane jeta un coup d’œil à son ami, lequel était toujours à ses côtés. Il pouvait partir, s'il le voulait. Dans tous les cas, elle attendrait qu'il sorte pour quitter la pièce, et elle se promit à cet instant de surveiller Aaron d'un peu plus près, au cas où. Elle ne supporterait pas que cela recommence.

Après un échange silencieux entre les deux sbires, la gitane lança un regard noir à son supérieur qui reprenait une bouffée de sa cigarette. Allons bon. Qu'est-ce qu'elle avait celle là encore ? Il avait déjà assez à faire avec le premier incompétent, pas besoin de la seconde.

« Les documents, il m'en manque. Vous ne m'avez pas tout donné et je ne peux pas travailler comme ça. »

Son ton froid et cassant fit tiquer Neel. D'agacement. S'ils s'y mettaient tous à être chiants, ça n'allait pas le faire. Aaron l'avait déjà assez énervé, alors il n'était certainement pas d'humeur à supporter la mauvaise humeur de la gitane. Elle avait ses règles ou quoi ? (L'auteur s'excuse pour cette remarque sexiste de Neel.) Avec l'autre andouille qui se cachait derrière elle, la dépassant largement. Ah, il pouvait être fier et jouer les malins celui-là, maintenant réfugié derrière une femme. Une bande de bras cassés, voilà ce que Neel avait dans ses troupes. Il se retint de soupirer et de se masser la figure. Ils le fatiguaient. Comme des sangsues accrochées à son front qui lui aspireraient toute énergie vitale par leur bêtise.

Bon. Il y avait au moins une chose de positive, la brune était là pour le boulot. C'était déjà ça. Le rouquin se retourna alors vers son bureau et il vint attraper la pochette de documents sur les ruines qu'il avait. Il l'ouvrit rapidement pour s'assurer de ce qui était dedans. Il doutait du fait que la gitane écarterait ces documents si précieux pour elle, mais Neel préférait toujours tout vérifier. Un vol était vite arrivé. Le lieutenant se retourna vers les sbires quand Aaron reprit la parole.

« Ma pépite. Je veux la récupérer. » 

La colère de Neel à sa remarque fut nettement visible par la veine qui venait de gonfler sur son front suite à un afflux sanguin. Nom de dieu... il allait vraiment le frapper celui-là.

« Fait déjà ton boulot correctement, gronda-t-il. Tu te permettras d'exprimer ce genre de revendication quand tu cesseras de faire le con. Maintenant, dégage, ordonna-t-il. Et refais moi le torchon que tu m'as rendu pour demain. »

Si Neel avait des lasers dans les yeux à la Robocop, sans doute qu'il ne resterait rien du voleur. Il posa ensuite son regard sur la gitane et lui tendit la chemise contenant les documents.

« J'ai vu assez d’incompétents pour la journée, grogna-t-il sous couvert d'un regard froid pour signaler qu'il les voulait tous les deux hors de la chambre. »

- SOS -

On pouvait dire qu'ils étaient tous les trois dans une impasse. Tous entassés dans la petite - quoique pas tant que ça, par rapport aux leurs -  chambre de Neel, avec chacun le désir d'en sortir au plus vite, la situation n'avançait guère. Rafaël, qui s'y était rendue à contrecœur dans le but d'obtenir les documents qui lui manquaient pour ses recherches, refusait à présent d'en sortir sans Aaron, après la scène à laquelle elle venait d'assister. Le lieutenant Rocket se pensait peut-être tout permis, mais il était hors de question qu'elle assiste à un viol sans tout tenter pour sortir son camarade de là. Bien que la vision l'ait laissée figée, sans voix au départ, elle retrouvait à présent tout son courage et n'hésita pas à adresser à l'agresseur une réplique bien cinglante, qui d'ordinaire lui aurait valu un coup bien placé.

Devant elle, elle aperçut le lieutenant se crisper d'agacement. Elle ne bougea pas, pourtant, mais sursauta en sentant une présence collée dans son dos. En jetant un bref coup d’œil en arrière, elle vit Aaron qui se maintenait derrière elle. Mais elle ne lui adressa aucun jugement. Pas étonnant qu'il ait un peu peur, pensa-t-elle plutôt. Ce lieutenant était vraiment un monstre.

« Ma pépite. Je veux la récupérer. » 

En l'entenant, la gitane haussa un sourcil et regarda Neel à nouveau. Parce qu'en plus, il lui avait volé quelque chose ? Voleur, en plus d'être vio- … Elle réalisa une seconde plus tard ce qu'elle pensait. Non, en toute honnêteté et sans lui faire le moindre tort, habituellement, c'était plutôt Aaron, le voleur. Sur le coup, elle ne sut lequel des deux elle devait encourager. Être du côté de celui qui avait volé, ou de celui qui volait quelqu'un venant de voler ? C'était trop compliqué, et pas tellement le moindre de ses soucis pour le moment. Ce qu'elle voulait, c'était un, récupérer ses documents, de deux, sortir son ami de là le plus vite possible.

Face à eux, Neel semblait à deux doigts d'exploser. Les épaules un peu crispées, se préparant sans doute à fuir dans les prochaines secondes, Rafaël l'observa attraper une chemise contenant divers documents. Sans aucun doute ceux qu'elle attendait. Elle tendit le cou, un peu, chercha à lire en même temps que lui malgré le bon mètre qui les séparaient, mais le Rocket referma bien vite la pochette pour répondre au voleur.

« Fait déjà ton boulot correctement. Tu te permettras d'exprimer ce genre de revendication quand tu cesseras de faire le con. Maintenant, dégage. Et refais moi le torchon que tu m'as rendu pour demain. »

Rafaël jeta un regard désolé à son ami, dans l'espoir aussi de lui faire comprendre d'attendre quelques secondes avant de sortir, si possible. Elle ne souhaitait pas rester seule avec le lieutenant elle non plus. Mais elle n'eut pas vraiment le temps d'adresser son regard suppliant que Neel s'adressa à elle. En voyant la pochette tendue, la jeune femme s'empressa de la prendre, au risque que le roux ne la reprenne par colère. Son humeur était tellement incertaine...

« J'ai vu assez d’incompétents pour la journée. »

Ajouta-t-il dans un dernier grognement. L'ignorant, Rafaël jeta un regard à la pochette qui contenait ses précieux documents, espérant tous les avoir sous la main pour lui éviter de revenir ici une nouvelle fois, et seule en plus. Sans adresser un seul remerciement au rouquin – c'était de sa faute, après tout, et puis il ne méritait rien, ce sale violeur -, elle se retourna alors de trois quarts vers Aaron, histoire de l'interroger du regard. « C'est bon, on peut sortir ? » Et de lui faire comprendre que non, elle ne partirait pas sans lui.