Pour être bon cavalier, ce n'est pas tout d'être botté

La veille, Romane s’était rendue dans le très charmant village de Roza afin de boucler un reportage sur les soins traditionnels de la ville. Il fallait dire que le village, l’un des plus anciens de l’île, était célèbre pour ses recettes naturelles, aussi bonnes en met qu’en soin pour le corps et l’esprit. La journée avait été tellement enrichissante que Romane était repartie la tête fourmillante d’idée et le sac à dos plein d’échantillons.

Mais le soir tombant, la rouquine avait préféré rester à Roza pour y passer la nuit, profitant de la connexion internet du Centre Pokémon - même dans un village aussi paisible, on n’échappait pas au progrès - pour rédiger son article et l’envoyer aussi sec à son chef. Après une ultime correction, l’article apparaîtrait dans le journal de la semaine prochaine. Tard dans la soirée, elle terminait de retoucher ses photos, grignotant dans son lit une barre de céréales. Rune et Colinn, dans le lit vide d’à côté, discutaient tout en se chatouillant de la queue. Romane leva les yeux de son écran et les observa avec un sourire tendre. Le jeune Pokémon avait besoin de contact et d’affection et heureusement, l’Aquali endossait ce rôle paternel avec brio.

- Vous savez que demain, on est en congé ? Que diriez-vous d’aller à la mer ? C’est juste à côté.

Rune répondit d’un gémissement ravi tandis que Colinn, pas encore très adapté à la langue humaine, imitait son grand-frère sans trop comprendre, partageant simplement sa joie. Romane eut un sourire. Bon, cela plairait moins à Juri, mais ce serait peut-être une excuse pour ne pas la sortir. En vérité, la journaliste se sentait dépassée par le comportement incompréhensible et dangereux de la Lainergie.
Et Quagga, alors ? L’arrivée du Zéblitz dans l’équipe était encore récente, mais ce dernier semblait s’être habitué rapidement à ses nouveaux compagnons. Il fallait dire que le caractère de Rune était si facile qu’on ne pouvait ne pas l’aimer, quant à Colinn, c’était un bébé timide qu’on ne pouvait non plus détester. Seule Juri avait mal réagi, se sentant une fois de plus en confrontation avec ce Pokémon plus puissant qu’elle. Romane commençait à songer que la brebis avait plus de mal avec les Pokémon du même type qu’elle. Se sentait-elle toujours défiée par le voltage des autres ? Etait-ce un fait propre aux Pokémon électriques ? Songeuse, Romane se concentra à nouveau sur ses photos.


Le lendemain matin, comme à son habitude, la jeune femme partait courir. C’était son rituel journalier, sa manière de se vider de toute énergie négative. Ce ne fut qu’une heure plus tard qu’elle partit en direction de la côte ouest d’Alera, un lieu relativement désert où la végétation était reine. La forêt n’était pas loin et les plaines et les collines s’étendaient à perte de vue, jusqu’à la mer azur qui entourait l’île. Romane avait osé relâcher tous ses Pokémon et si Rune et Colinn avançaient joyeusement vers la côte, Quagga marchait derrière le groupe, n’osant encore trop se mêler à eux. Juri, l’air boudeur, trottinait à côté dans les herbes hautes. La rousse poussa un petit soupir découragé. Et elle en profita pour aborder l’air de rien le zèbre.

- Quagga, tu as évolué il y a longtemps ?

Passé la surprise d’être abordé, l’équidé répondit par un bref hochement de tête. Encouragée, Romane eut un sourire.

- Ça s’est bien passé ? Tu es content de ce que tu es devenu ?

Juri les observait à présent. Après quelques secondes de réflexion, le zèbre hocha à nouveau la tête. Oui. Ça avait été étrange et inattendu, évidemment, évoluer était peut-être quelque chose de naturel, ça n’en était pas moins une expérience quelque peu traumatisante. Mais cela l’avait fait grandir, et il préférait largement être ce qu’il était aujourd’hui, que le bébé zèbre d’auparavant. Aujourd’hui, il était tellement rapide ! Et puis, il était capable de se défendre, il était fort.

Bien entendu, Romane ne comprenait pas tout aux hennissements du Zéblitz. Mais elle devinait ses certitudes, sa maturité et son bonheur d’être ce qu’il était aujourd’hui, en dépit des mauvaises expériences passées. Juri s’était arrêtée pour laisser Romane et le zèbre la rattraper. Elle l’observait avec appréhension et hésitation, puis se laissa tenter par une question qui lui brûlait les lèvres : est-ce qu’elle aimerait ce qu’elle serait, plus tard ? Changer lui faisait peur, elle ne se reconnaissait pas. Sans aucun doute, lui répondit Quagga, parce que tu seras toi-même. Pour la première fois depuis longtemps, Juri parut heureuse.

Silencieuse, Romane observait ce spectacle avec un sourire ravi. Elle décida alors de suivre ses deux premiers Pokémon, qui déjà avaient atteint la plage. En maillot de bain, elle se baigna avec eux, refusant de laisser Colinn trop longtemps seul dans l’eau immense, tandis que les deux Pokémon électriques bavardaient entre eux sur la plage, pour la première fois.

Vingt minutes plus tard, Romane les abandonnaient pour sécher sur le sable chaud. Quagga était couché, visiblement plus détendu que ces derniers jours, et Juri semblait avoir retrouvé son innocence gentille. Craignant de se prendre un nouveau coup de jus, Romane n’osa pas la caresser. Le léger geste, resté en suspens, n’échappa pas à l’équidé qui lui jeta un regard appuyé. La rouquine haussa les épaules avec un faible sourire, avant de pencher la tête.

- As-tu déjà porté quelqu’un sur ton dos ? (Il hocha la tête en réponse puis pencha la tête, comme l’invitant à répondre.) Oh, non. C’est quelque chose que je n’ai encore jamais fait, je veux dire, monter sur un Pokémon. Comme tu peux le constater, tu es le plus grand !

Elle rit, ce qui sembla attendrir le Pokémon qui tendit le nez vers elle pour recevoir une caresse. Ils bavardèrent un moment, avant que Colinn et Rune ne les rejoignent pour remonter le long des côtes. Semblant soucieux depuis de longues minutes, Quagga s’arrêta finalement à hauteur de la rouquine pour lui présenter son dos. La journaliste se stoppa, incertaine.

- Euh, tu veux… que j’essaye ?

Le Pokémon la regarda sans répondre, tandis que Romane posait ses mains sur le grand corps zébré de noir et de blanc. Elle caressa tout son dos, cherchant sûrement comment grimper. Romane était légère, et assez agile. Mais le zèbre était bien plus grand qu’elle et ses compétences en équitation frôlaient le zéro. Elle inspira puis sauta… sans réussir à atteindre son dos.

Spoiler:

Pour être bon cavalier, ce n'est pas tout d'être botté

S’en suivit deux, peut-être trois autres tentatives toutes aussi infructueuses que la première. Romane était pourtant souple et légère, mais elle n’avait jamais fait d’équitation et estimait assez mal la hauteur de l’équidé, en plus de ne pas du tout savoir comment se placer. De fait, elle retomba une fois encore - sur ses pieds heureusement - à côté de Quagga, qui avait l’air de l’observer d’un air amusé, sans remuer le moindre sabot pour se coucher ou s’incliner. Peut-être la testait-il ?

Romane entendit alors un bruit de sabots et contourna le zèbre pour apercevoir un Pokémon et sa dresseuse approcher. La rouquine ouvrit deux yeux surpris : un Ponyta chromatique ! Cette particularité ne pouvait passer inaperçue chez ce Pokémon, les couleurs étaient absolument incroyables.

« Il faut que vous essayez de passer votre jambe de l’autre côté du flanc quand vous sautez. Ce sera plus facile. »

- Oh, je…

La jeune femme observa le zèbre de haut en bas, calculant mentalement le meilleur moyen de procéder avec le conseil qu’elle venait de recevoir. Son silence avait peut-être froissé la nouvelle venue, qui ajouta :

« Pardon, je ne voulais pas vous importuner. J’avais l’impression que étiez en difficulté et Epona semblait intrigué par votre ami pokémon. »

Romane se retourna vers elle, s’écartant un peu de Quagga qui s’était tourné vers le poney pour le juger et le renifler. Rune, son Aquali, s’était aussitôt approché, sociable et aimable comme à son habitude. Il salua l’équidé avec bonne humeur. Seuls Colinn, trop jeune et trop intimidé, et Juri, plus méfiante, restèrent en retrait.

- Non non, il n’y a aucun problème !

Elle fit un pas vers la jeune femme qui s’apprêtait à repartir, l’interpelant en levant la main comme pour s’excuser.

- Désolée, je réfléchissais à ce que vous veniez de me dire. Vous ne me dérangez pas, bien au contraire…

La rouquine soupira et fit un petit sourire d’excuse, limite suppliant.

- Vous tombez même plutôt bien, puisque vous êtes cavalière. Je peux vous... te demander d’autres conseils ?