« Mh. Et on n'y serait déjà plus si tu ne nous avais pas fait perdre notre temps. »

Rafaël leva à nouveau les yeux vers le lieutenant. Ce dernier s'était rapproché, et se tenait à présent devant elle, inquiétant légèrement la gitane qui ne put s'empêcher de machinalement froncer les sourcils, méfiante. Et elle eut bien raison. Soudainement, le rouquin l'attrapa par le col.

« Ne me mens plus jamais. La prochaine fois, je te tue. Sais-tu le temps qu'on a perdu à cause de toi ?! Sans parler que tes mensonges ont failli nous coûter bien plus ! »

De surprise, la brune avait lâché un petit glapissement mêlé à un gémissement de douleur. Avec cette prise, le t-shirt que portait Rafaël appuyait douloureusement sur sa blessure à la nuque, n'arrangeant rien à la douleur déjà présente. Elle gémit, et attrapa aussitôt le poignet du lieutenant, comme pour minimiser sa prise.

- Aah... ! Arrêt...

Mais dans un nouveau mouvement de colère, Neel repoussa violemment la gitane sur le lit. Un nouvel élan de douleur, qui étourdit la jeune femme quelques secondes. Quand elle rouvrit les yeux, le rouquin la surplombait, et Rafaël se tassa un peu plus de peur. Elle voulut entrouvrir la bouche, répliquer quelque chose, se défendre, mais l'angoisse la clouait sur place.

« Ne me refais plus jamais un coup comme ça. »

Sur ces paroles, le lieutenant se redressa et lui ordonna de manger. Rafaël, tremblante, fut incapable de bouger durant quelques secondes. Doucement, la peur quittait ses veines. Lentement. Ses yeux s'étaient légèrement humidifiés lors de l'altercation, un mélange d'angoisse et de fatigue. Dans une chambre, sur un lit, elle était toujours plus vulnérable.

Et puis, elle comprenait en partie une telle colère. Elle avait menti, elle ne se le cachait pas. Elle avait affirmé pouvoir traduire des ruines anciennes alors qu'il n'en était rien. La traduction, c'était un peu un rêve, pour elle. Devenir aussi archéologue que sa défunte mère. Mais la vérité était là : elle était entrée dans la Team à ses quatorze ans et depuis, elle n'avait pas remis un pied dans une école. Elle aimerait pouvoir traduire. Elle en rêvait. Mais elle en était incapable.

Pour autant, qu'y pouvait-elle ? Neel avait voulu y aller, dans les ruines. Elle l'avait simplement suivi et lui avait apporté une aide extérieure. C'était Thane qui avait trouvé la salle cachée, c'était Onix qui les avait sortis d'ici alors que l'eau montait. Seul, est-ce que le lieutenant s'en serait sorti ?

La gitane se redressa doucement, et un peu tremblante encore, elle jeta un regard noir au rouquin, légèrement atténué par l'humidité inquiète de son regard. Elle porta une main fébrile à sa nuque douloureuse, dont le bandage s'était légèrement tâché de sang.

- Je vous ai sorti de là, répliqua-t-elle pour se défendre. Sans nous vous n'auriez pas trouvé la salle, et vous ne seriez pas sorti de la grotte. Je n'y suis pour rien si l'eau montait plus vite que prévu, je vous ai dit la stricte vérité !

Et la brune en était convaincue. Lorsqu'elle avait récolté les informations, elle les avait ensuite transmises mot pour mot au lieutenant de la Team Rocket. Ils avaient eu encore du temps sous la grotte. Alors... est-ce que la vieille dame d'Elara avait menti ? Avait-elle donné un faux horaire, dans le simple but de se débarrasser de ces énergumènes un poil trop curieux ? Dans tous les cas, Rafaël n'avait pas menti.

- Je n'ai pas menti, souffla la gitane. J'essaye... vraiment de traduire les ruines. Mais vous auriez pu y aller seul, si je suis une telle perte de temps.

Et qu'il la renvoie de la Team, si cela lui plaisait. Rafaël en serait sûrement ravie.

Cette fois-ci, la gitane ne s'était pas laissée faire. Qu'elle se fasse frapper, si elle était en tort. Mais là, ce n'était pas le cas. Elle n'avait pas menti pour les horaires de marée, et l'incompréhension était la plus totale. Pour une fois, elle avait été presque fière d'être utile. Et voilà que tout lui revenait dans la figure.

Bien évidemment, sa rébellion ne plut pas au lieutenant.

« Je t'ai pris car tu as dis pouvoir être utile ici. J'y serai allé seul si tu m'avais dit la vérité dès le début ! »

Coupable, Rafaël baissa les yeux mais garda les sourcils froncés. Oui, ça... Elle le reconnaissait. Elle avait menti en déclarant savoir lire les ruines. Car si elle était apte à reconnaître quelques symboles, elle était en revanche incapable de les traduire de mémoire, comme ça. Il lui fallait du temps pour tout déchiffrer. Elle avait menti, mais c'était pour la bonne cause.

- J-Je... essaya de se défendre encore la jeune femme, mais sans trouver les mots.

Pourtant, Neel ne s'énerva pas davantage. Au contraire même, il sembla soudain s'apaiser. Et Rafaël l'entendit soupirer, grogner, avant qu'il ne reprenne sur un ton un iota plus calme.

« Dis moi la vérité à l'avenir. Ça nous évitera de risquer de se faire tuer par ton incompétence. Je t'aurais gardé dans mon équipe même sans ça. »

L'ultime phrase résonna un long moment dans l'esprit de la gitane, avant qu'elle ne relève deux yeux surpris sur le lieutenant. Quoi ? Il l'aurait gardée ? Elle le fixa un moment, comme cherchant sur le visage du rouquin une réponse à ses interrogations. Ses yeux brillaient encore de quelques larmes, mais la peur doucement diminuait. Et lorsqu'elle comprit que la discussion était close et que le rouquin ne s'énerverait pas davantage, elle baissa les yeux.

- ... Je suis désolée, souffla-t-elle.

Non pas désolée d'avoir menti, ni d'avoir essayé de faire ce qu'elle rêvait, mais désolée d'avoir été un tel fardeau durant ces quelques heures. Ils auraient pu mourir, oui, mais ils s'en étaient sortis. Elle avait réussi à rebondir, et à les faire sortir de là. C'était tout ce qui comptait, non ?
Silencieuse, peu fière, elle passa une main sur sa nuque douloureuse et ne dit rien de plus, n'osant même plus relever la tête. Silence.

« Je suis désolée. »

Des excuses. Neel regarda la gitane, surpris. Elle avait l'air à deux doigt de pleurer. Et franchement, il ne s'attendait à des excuses de la part de cette forte tête. Bon. Elle faisait bien. Il n'était pas vraiment sûr si elle s'excusait d'avoir menti ou pour autre chose, mais il s'en contenterait. Il l'observa un moment de haut en bas sans rien dire, puis il s'approcha d'elle. Il vint poser une main sur son épaule pour qu'elle se tourne. Le pansement s'était un peu défait. Le lieutenant tira un peu dessus pour le remettre en place.

« ça mis de côté, tu as bien travaillé. »

Bon, après une engueulade, il pouvait bien lui souligner qu'elle avait quand même fait quelques trucs correctement. Et puis... Bon. Elle avait menti, mais il n'y avait pas que du négatif malgré tout. Elle pouvait se montrer un peu utile. Il la relâcha et s'approcha du bureau où se trouvaient des papiers. Il les tria rapidement et en mis certains de côtés et posa l'appareil photo dessus. Neel reporta son regard sur la gitane.

« Ce sont les données ramassées sur les ruines et les photos de l'intérieur. On va retourner sur Mell demain et tu t'installeras à côté de la bibliothèque. Tu as une semaine. Je veux tous les textes traduits. »

Il lui désigna les documents pour être sûr qu'elle comprenne.

« Et maintenant, mange, grogna-t-il. »

Quelques secondes s'écoulèrent, bien plus calmes que les précédentes. Si Rafaël n'osait pas relever la tête, Neel se rapprocha en revanche, et elle le sentit soudain tirer sur son  pansement pour le refaire. Grimaçant, serrant les dents, la gitane ne laissa pas échapper une seule supplique. Elle le laissa faire et tira doucement le long t-shirt pour cacher un peu plus ses pâles cuisses nues.

« Ça mis de côté, tu as bien travaillé », lâcha-t-il ensuite.

Étonnée, la jeune femme leva les yeux. Un compliment ? C'était si rare, et si surprenant après une telle scène qu'elle ne sut quoi répondre. Le rouquin la relâcha et s'éloigna de quelques pas sous le regard toujours étonné de Rafaël qui l'observait faire. Il attrapa quelques papiers, les tria et en fit une pile parfaite, avant de poser un appareil photo dessus. La brune le reconnut comme étant celui qu'elle avait utilisé pour prendre en photo les ruines, un peu plus tôt.

Quand le rouquin reporta son attention sur elle, Rafaël croisa son regard et afficha un léger air interrogateur. Il semblait attendre quelque chose d'elle, elle attendit qu'il le lui explique.

« Ce sont les données ramassées sur les ruines et les photos de l'intérieur. On va retourner sur Mell demain et tu t'installeras à côté de la bibliothèque. Tu as une semaine. Je veux tous les textes traduits. »

Oh. Surprise, Rafaël suivit son doigt et posa le regard sur la pile de feuilles. Elle, traduire les ruines de la grotte ? Toute seule ? Elle fut silencieuse un instant et le regarda, perdue. Mais le lieutenant l'ignora et lui pointa à nouveau le sac de courses pour qu'elle se nourrisse.  Rafaël ne bougea pas, muette. Sidérée. Avait-il vraiment compris qu'elle lui avait menti depuis le début ? Qu'elle ne savait pas lire les ruines si ce n'était quelques notions ? Qu'elle n'était pas archéologue mais juste une gamine avec des rêves plein la tête ?

- Je ne... commença-t-elle, de manière presque inaudible.

Mais elle se tut aussi soudainement qu'elle avait commencé. Ou alors, il lui laissait une seconde chance. Une chance de faire ses preuves. D'essayer d'être archéologue, ne serait-ce qu'une petite semaine. Fixant de ses yeux clairs le lieutenant, Rafaël décida alors de prendre les choses ainsi. Il lui laissait sa chance, elle la prendrait. Elle essayerait.

- D'accord.

Une semaine, c'était juste pour autant de feuilles, mais elle ferait son possible. Alors, n'ajoutant pas un mot, la gitane se pencha et attrapa dans le sac de quoi se nourrir. Elle opta pour un sandwich simple, ouvrit la barquette et le mangea doucement, silencieuse. Pensive, surtout.

Après l'évocation de la nouvelle mission qui incombait à présent Rafaël, le silence s'étira dans la pièce, pesant et légèrement embarrassant. La jeune femme, qui mangeait en silence son sandwich, jeta un regard au lieutenant. Ils étaient deux dans une même chambre, comme le serait un couple, sauf qu'ils étaient plus qu'à l'opposé d'être ça. La gitane ferma les yeux, et essaya de détourner son esprit de cette pensée plus que dérangeante. Le rouquin allait partir, et la laisser calmement se reposer. Et puis le lendemain, ils partiraient vers Mell.

Sauf que Neel ne semblait pas voir les choses de la même manière. Il se leva, et s'enferma dans la salle de bain pour prendre une douche. Seule dans la chambre, Rafaël surveillait le bruit de l'eau tout en se demandant pourquoi il n'était pas parti se doucher dans sa chambre. Oui, pourquoi ?

Puis le lieutenant revint dans la pièce, presque nu. Disons, très pauvrement vêtu. Surprise, choquée même, et inquiétée, Rafaël détourna aussitôt le regard. Enfin, ses pauvres convictions terminèrent leur chute lorsque Neel se coucha dans le lit. Comme si tout était normal.

« Ne fais pas de bruit quand tu te couches. »

Là, la pauvre gitane se redressa d'un bond. Elle jeta l'emballage du sandwich dans le sachet plastique qui l'accompagnait et elle se retourna vers le lit, observant la forme du rouquin à moitié sous les draps. Était-il sérieux ?! Non... c'était une blague. Ou alors, Rafaël avait simplement mal compris. Elle recula d'un pas et observa la pièce. Non, il n'y avait bien qu'un lit. Qu'une chambre et qu'un lit.

- … … …

Et parfaitement étranger à son mal-être, Neel lui tournait le dos. Rafaël, désespérée, préféra se cacher les yeux une fois de plus. Elle se pencha et attrapa son sac, en sortit un jean, l'enfila rapidement.

- … je vais dans ma chambre...

En espérant, bien sûr, que cela ferait réagir le lieutenant qui lui répondrait tout simplement que, oui, bien sûr, sa chambre était la porte d'en face.

« C'était la dernière chambre et il n'y a pas d'autre hôtel ici. On ne peut loger que là. … Couche-toi ici. On part demain. »

Ah. Bon. Visiblement, sa tentative n'avait pas marché... et l'impensable se révéla être plutôt réel. Rafaël en resta muette de stupeur. Le lieutenant et elle... partager la même chambre ? … … le même lit ? Ah non. Non non non, certainement pas. C'était juste impensable. Impossible. Et l'esprit échaudé de la jeune femme se mit à réfléchir à toute allure, ce dont Neel sembla se rendre compte car il reprit la parole, l'air agacé :

« Je ne vais rien te faire. Je veux juste dormir. Alors couche-toi et dors. »

Inquiète malgré tout, la gitane posa les yeux sur le rouquin. Il n'y avait visiblement qu'elle qui était dérangée par l'idée... mais ne pouvait-il pas comprendre ? Elle ne voulait pas partager le lit d'un homme, encore moins celui de son supérieur … elle avait déjà donné. Et puis, jusque là, Neel lui avait toujours laissé une certaine indépendance et une grande intimité. Pourquoi est-ce que ce soir, ça devrait être différent ?

- Nh... je...

Elle regardait, désespérée, le lieutenant qui lui tournait le dos. Alors ce n'était pas une blague, il se fichait complètement de son mal-être. Mais c'était hors de question. Fronçant les sourcils, la gitane fit un pas vers la porte. Elle trouverait, elle, une chambre de libre. Ou alors elle dormirait dehors. Ça n'était pas un problème.
Mais une fois encore, Neel se montre devin.

« Ne pense pas à t'enfuir. Il n'y a pas d'autres endroits où dormir, alors couche toi avant de m'énerver. »

- …

Là encore, la brune fronça les sourcils. Il ne s'agissait pas de s'enfuir. Simplement... de passer la nuit ailleurs. Il était parfaitement hors de question qu'elle dorme dans le même lit, ou la même chambre que lui. Il pouvait comprendre, bon sang ! Même sans être au courant de son histoire. Mais comme ce roux était butté et qu'il ne comprenait rien, Rafaël se pencha pour attraper son sac, et qu'importe sa tenue un peu courte, elle se dirigea vers la porte qu'elle ouvrit.
Pour simplement sortir, fermement décidée.

La porte ouverte, la gitane s'engouffra dans le couloir. Quand elle entendit le lieutenant crier son nom, elle se crispa aussitôt et par réflexe, elle accéléra le pas jusque l'escalier. Mais à peine eut-elle franchi une marche ou deux qu'elle se sentit brusquement tirée en arrière. Neel l'avait rattrapé, et le voilà qui la tirait sans ménagement dans la chambre à nouveau.

Rafaël gémit, voulut répliquer avec les faibles défenses qu'elle avait contre le rouquin. Elle essaya de balbutier qu'elle serait au rendez-vous demain, sans faute, qu'elle ne chercherait pas à fuir, qu'elle voulait juste prendre une autre chambre pour la nuit. Qu'elle ne pouvait pas rester ici, que ce n'était pas contre lui, mais qu'elle ne pouvait pas tout simplement.
Mais insensible, Vincent la poussa sèchement sur le lit.

« Tu te couches. »

Déstabilisée, la gitane se redressa maladroitement, le corps tremblant d'inquiétude. Mais contre toute attente, Neel ne vint pas se coucher auprès d'elle. Il ne l'approcha pas davantage, et surtout, ne la toucha pas. Il se redressa simplement et attrapa son sac.

« Demain. Huit heures. »

Et il sortit, sans un regard. Assise sur le lit, tremblante, la gitane resta immobile un long moment. S'attendant à tout instant à voir Neel revenir et lui gueuler dessus à nouveau. Mais les minutes passèrent et il n'en fut rien. Rafaël baissa les yeux, ramena ses jambes contre son corps et posa la tête contre ses genoux. Elle se calma, doucement.

Plus tard, elle se releva pour fermer la porte de l'intérieur. Ainsi rassurée, elle put se doucher, se changer. Et elle se coucha, simplement épuisée. Ses blessures lui faisaient mal et le mal de tête était important. Elle avait besoin d'une bonne nuit de sommeil, et malgré toutes ses interrogations – Neel avait un comportement étrange avec elle, elle ne comprenait rien -, elle s'endormit très rapidement.

Le lendemain, elle était à l'heure convenue au pied de l'immeuble. Thane le Sablaireau, à ses pieds, grignotait une noix.