Quelques jours auparavant...
Kayaba avait enfin débarqué sur l'île tant prisée d'Alera. On ne lui en avait dit que du bien, et en effet, le premier aperçu avait été une station thermale paradisiaque, accueillante. Le confort et la détente lui tendaient les bras, mais il n'avait pas oublié son but premier. Avant d'entamer quelconque cure bienfaisante, il ferait les efforts nécessaires pour la mériter.
A peine avait-il posé les pieds sur la terre ferme qu'il cherchait déjà la carte de l'île et le guide touristique. Heureusement, le port pullulait de kiosques proposant ces brochures. Mais, à son grand étonnement, aucun bout de papier ne traînait par terre. Il piocha sur un des kiosques et ouvrit la première brochure. L'île se divisait en quatre territoires bien distincts, comportant leur propre climat. En y réfléchissant bien, le Nord était un endroit propice à l'élevage de Pokémons chiens, leur fourrure les protégeait mieux du froid que de la chaleur. Et il lui fallait de l'espace plat pour installer l'élevage, ainsi qu'à l'écart des habitations, mais pas trop, pour assurer tout de même quelques visites. C'était décidé, il irait à Onnen !

Aujourd'hui, quelque part au pied de la montagne...
C'est en trébuchant sur un caillou instable qu'il regretta son choix impulsif. Le trajet ne faisait que monter, et aucune plaine, ni aucun plateau à l'horizon. Juste de la caillasse et une montagne droit devant. S'il finissait par la rencontrer, il devrait en faire le tour jusqu'à trouver l'endroit désiré.
Deux Chevroum le regardaient gravir tant bien que mal ce paysage rocheux. Eux n'avaient aucun mal à se déplacer ici. Kayaba fut presque tenté d'en capturer un pour le monter et avancer plus vite, mais cela aurait été du gâchis plus qu'autre chose. Ces Pokémons étaient heureux en liberté, nul besoin de les déranger pour des futilités. Et puis, ils étaient peut-être en couple ?
En tout cas, les voir lui avait donné envie de laisser ses Pokémons profiter du paysage. Il s'assit un petit instant, le temps de sortir les pokéballs de son sac à dos. Heureusement, il n'avait pas pris beaucoup d'affaires sur lui, juste des rechanges et quelques économies. Tout le reste était encore à Kanto, ainsi que les Pokémons d'élevage de sa mère. Il les ferait venir par bateau petit-à-petit. En attendant, ils étaient en sécurité chez un éleveur autrefois ami de sa mère.

Les trois Pokémons se dégourdirent les jambes pendant que Kayaba se relevait avec peine pour reprendre sa marche. Cette montée lui avait rouillé les genoux. Mais au moins, ses Pokémons pouvaient partir en éclaireur pour trouver un endroit plat, et le prévenir avant qu'il ne fasse des kilomètres de trop. Ether, sa Grahyena, restait près de lui pour le rattraper en cas de chute. Tout deux étaient très protecteurs l'un envers l'autre. Pendant ce temps, le Arcanin grimpait avec aisance grâce à la puissance de ses jambes, et Zoroark fit de même dans la direction opposée en se mettant à quatre pattes. Ils étaient manifestement plus rapides que Kayaba et seraient un gain de temps énorme.

Le paysage était verdoyant, le soleil était haut dans le ciel et illuminait la scène. Non loin, on entendait le bruit d'un cours d'eau, et probablement de petites cascades que les Castorno n'avaient pas barré. C'était un endroit coupé du monde, exempt de toute population humaine. Pur. Tout ce dont il avait besoin pour assurer sa tranquillité et celle de ses Pokémons. D'ailleurs, ceux-ci revinrent, Arcanin remuait la queue avec force. Il avait trouvé quelque chose de concluant. Kayaba le suivit, il n'osait pas grimper sur son dos, de peur que son poids ne mette en danger les coussinets de son Pokémon. Quelques cailloux étaient pointus et pouvaient s'y enfoncer. Le chemin montait de moins en moins, l'herbe commençait à apparaître, l'air se rafraîchissait, certainement dû à une forte présence d'eau.
Puis il le vit enfin. L'endroit parfait pour installer son élevage. Une plaine tapissée de vert presque fluo, au pied de la montagne. Un cours d'eau passait à moins d'un kilomètre. Personne à l'horizon, pas une habitation, mais un petit sentier y passait, comme s'il lui arrivait d'être fréquenté par les voyageurs. C'était trop parfait pour être vrai. Il courut en direction de sa nouvelle maison, sans même savoir d'où lui venait toute cette énergie après la marche éprouvante. Mais il y était, son nouveau chez lui.

Il sortit les plans de son sac à dos et les déroula sur le sol. Il avait tout dessiné lors du trajet en bateau, pour gagner du temps. Comme il n'avait pas de matériel à sa disposition, lui et ses Pokémons creuseraient d'abord des sillons pour définir les bases de la structure. Il se rendrait ensuite dans la ville la plus proche pour récupérer du bois et des outils. Il était même prêt à se rendre jusqu'à Elara pour acheter tout le nécessaire afin de meubler et isoler son bâtiment.
Ils se mirent au travail après que Kayaba ait défini les angles de chaque rectangle de terrain. Les Pokémons n'avaient plus qu'à les relier en creusant quelques centimètres. Un jeu d'enfant lorsqu'on est un Pokémon chien !

Mais alors que l'endroit leur semblait désert, Ether sentit s'approcher un individu. Elle prévint Kayaba immédiatement. Tous se mirent sur leur garde, attendant de voir apparaître une silhouette de n'importe où. L'habitude d'être traqués les avait rendu nerveux, méfiants. Lorsqu'ils se trouvaient dans la foule, ils observaient tout le monde. Mais seuls au milieu de la nature, comment allaient-ils réagir ?
   

La silhouette semblait s'approcher sans vraiment avoir l'intention de faire du mal à Kayaba. Un Pokémon le devançait mais s'était arrêté à la vue de Cipher. Ce dernier s'était approché des visiteurs avec prudence. Au moindre geste brusque, il lui suffisait de créer une illusion pour se faire disparaître, lui et ses amis. Kayaba n'aimait pas trop utiliser les illusions de Cipher. Depuis la mort de sa mère il craignait que son Pokémon ne lui montre cette île paradisiaque que pour le consoler. Les illusions étaient assez puissantes pour lui faire vivre une fausse vie. Ainsi, il limitait cette capacité de son Pokémon, sans pour autant lui en priver. Elle pouvait s'avérer utile en cas de danger.

Kayaba se risqua à faire quelques pas, histoire de pouvoir détailler le visage du jeune homme à quelques mètres devant lui. Et aussi pour surveiller son Zoroark. Au même moment, l'étranger avait reculé pour prendre ses distances avec Cipher. Sage décision. Il pouvait se révéler farouche. En s'étant approché, Kayaba reconnut le Pokémon qui l'accompagnait. Un Solaroc, il en avait vu un ou deux durant sa vie, surtout en combat contre d'autres dresseurs. Mais tout ce qu'il savait de ce Pokémon, c'est qu'il venait d'Hoenn. L'ex-Rocket ne s'était jamais intéressé à cette espèce, car il le trouvait tout simplement moche. Et Seleroc aussi. Pas de fourrure, pas de pattes, pas d'aboiement, pas d'intérêt.

Il fallut quelques secondes pour qu'une autre personne fasse son apparition. Cet endroit était-il vraiment isolé de la population ? L'éleveur craignait de devoir trouver un meilleur endroit pour son établissement. Mais il fallait d'abord connaître les intentions de ces personnes avant de les juger hâtivement et crier au feu à chaque visite. Le second visiteur était en réalité une femme. Kayaba n'avait pas besoin des capacités oculaires d'un Gueriaigle pour le remarquer, la silhouette parlait d'elle-même, les cheveux aussi. Mais le jeune homme était totalement ignoré ! Tout ce qui attirait l'attention de ces deux visiteurs, c'était Cipher. Une idée traversa son esprit tel un éclair: et s'il utilisait son Zoroark comme attraction de son élevage, le temps de développer sa clientèle ? L'idée disparut aussi vite qu'elle était venue. Kayaba n'était pas le genre d'homme à utiliser ses Pokémons comme publicité.
Alors qu'il raya cette idée de son esprit, la jeune fille, dont il vit la couleur de cheveux éclatante désormais, s'était dangereusement approchée de Cipher, tendant même une future main infirme devant son museau. Le Zoroark avait tourné les yeux vers son dresseur, ne sachant que faire. La seule personne qui lui montrait de l'affection, c'était son dresseur. Tous les autres avaient tenté de le tuer.
Kayaba sentit sa détresse, il savait que son Pokémon ne voulait pas faire de mal mais qu'il pourrait avoir un réflexe fatal. Le garçon fit un pas devant l'autre, l'air décidé, et s'adressa aux humains d'une voix grave et autoritaire, mais tremblante, manquant d'assurance. Il espérait juste qu'on ne le remarquerait pas.

- Bonjour ! Heu... Vous ne devriez pas rester aussi près, il risquerait de vous blesser malencontreusement.

Cipher semblait soulagé que son dresseur fasse irruption. Il s'assit en attendant que Kayaba soit arrivé à ses côtés. Ceci fait, l'éleveur posa une main rassurante sur la crinière de son Pokémon.

- Je m'appelle Kayaba. Dit-il en regardant les deux humains tour à tour, attendant une réponse.
 

Alors que Kayaba s'était approché pour les mettre en garde et se présenter, il avait remarqué au dernier moment que l'interlocuteur mâle avait fait reculer la jeune fille de quelques pas pour la protéger. Et pour toute réponse il avait dit:

- Enchantéééé! Moi, c'est Éoran. Mais vous pouvez m’appeler... quand vous en avez le plus besoin!

Kayaba haussa un sourcil, et se ravisa rapidement en lui adressant un petit sourire. Quel drôle de phénomène voilà, sachant détendre l'atmosphère.
Malheureusement il n'avait pas entendu la petite voix douce de la jeune fille. Du moins, il avait retenu quelques mots, mais pas toute la phrase car la voix d'Éoran portait plus que la sienne. Le fait qu'elle s'incline devant lui prouvait qu'elle s'était excusée. Kayaba voulut lui répondre pour lui assurer que cela n'était pas grave, mais elle le devança en se présentant à son tour:

- Salut, je m'appelle Abigail !

Elle avait retrouvé son sourire, et Kayaba fut soulagé. Zoroark renifla la jeune fille au niveau de la main, comme curieux de savoir ce qu'il aurait ressenti si elle s'était posée sur lui. L'éleveur garda un oeil sur lui, toujours un peu méfiant. Cipher se ravisa et entama une toilette de sa crinière, il en prenait soin pour qu'elle garde un éclat rouge au quotidien. Ether et Balder avaient rejoint le groupe, ils s'y tenaient à distance pour les contourner et les observer. Kayaba leur fit signe de se calmer et ils s'allongèrent tout deux, l'air de rien, à quelques mètres des humains. Ether fit mine de bailler, bien qu'elle gardait un oeil sur les visiteurs.

- Et donc, Kayaba, qu'est-ce que tu fais tout seul ici ?

Il ne s'attendait pas à cette question, bien qu'elle soit légitime et logique. Mais il n'avait préparé aucune réponse. Est-ce qu'il devait trouver une excuse, ou dire la vérité? Ses interlocuteurs n'avaient pas l'air dangereux. Éoran lui-même n'avait pas l'air de se faire obéir de son propre Pokémon, qui se tenait à une distance exagérément longue. Il ne bougeait pas et ne semblait pas vouloir rejoindre son dresseur. Alors, que penser? Perdu dans sa réflexion, il n'avait pas remarqué qu'Ether l'avait rejoint. Elle donnait des coups de museau sur sa jambe, comme pour lui dire "vas-y". Il lui fit une confiance aveugle, comme il l'avait fait durant toutes ses aventures avec elle. C'était une femelle sage, objective et protectrice. Elle ne le mettrait jamais en danger. S'il s'avérait que ces individus étaient dangereux, elle les réduirait en pièces.
Ainsi donc, il répondit, un peu plus confiant:

- Je suis arrivé il y a peu pour commencer à construire mon élevage. Nous comptons bien nous installer ici, dans la tranquillité. Je peux vous montrer ce que nous avons entrepris si vous le voulez.

Il avait peur d'être allé trop loin, mais Ether ne bougeait pas, ne lui reprochait rien. Elle était assise à ses pieds, devant lui, et posait sur Éoran et Abigail un regard calme, tout en humant l'air de ses narines sensibles. Sa présence imposait plus que celle de Kayaba lui-même. Mais elle n'en avait que faire, et bailla une seconde fois.