Venant troubler la quiétude des lieux, des bruits de pas résonnèrent sur la roche grise presque noire de la montagne d'Onnen. Quelques secondes plus tard, Rafaël apparut devant les sources chaudes. Avisant rapidement l'homme qu'elle recherchait – il était pour ainsi dire le seul présent ce soir -, elle s'approcha du bain qu'occupait le rouquin. La brune était vêtue comme à son habitude de vêtements peu saillants, c'est à dire d'un pantalon léger mais plutôt large et d'un débardeur noir. Elle s'approcha en silence, le regard droit et dur, et s'arrêta devant le bassin, face au lieutenant.

Elle l'avait recherché deux jours durant. On lui avait dit que le rouquin s'était accordé quelques jours de congé à Onnen, dans la montagne, alors la gitane s'était mise en route. Oh, bien évidemment, elle n'avait pas eu l'autorisation de partir ainsi. Mais elle s'était éclipsée en pleine journée, alors qu'elle était attendue le soir même pour une mission de routine. Tant pis pour les réprimandes, elle devait parler au lieutenant. Et la voilà aujourd'hui devant lui, comme si c'était normal.
Elle fixa Neel, un peu essoufflée par sa longue escalade, bien sûr sans s'attarder sur son corps ou sa plastique. Elle le regardait dans les yeux, l'air toujours aussi calme et renfermée qu'à son habitude, quoique si on regardait bien, une étincelle de panique froissait son regard clair. Cependant, elle savait que sa présence ne serait pas la bienvenue pour le rouquin, ce pourquoi elle trouva opportun de se justifier :

- … j'avais besoin de vous parler, dit-elle, le ton grave. C'est important.

Le Gueriaigle s'approchait de son dresseur, l'air enjoué, jetant de temps à autre à Rafaël un regard curieux. On disait souvent que les Pokémon étaient le reflet exact de leur dresseur, celui-ci semblait être l'exception qui confirmait la règle. Soit. L'ignorant pour rester concentrée, Rafaël se tenait devant le bassin d'eau chaude, patientant comme elle pouvait devant le silence agaçant de Vincent. Ah. Il réagissait.

« Et ? »

Retenant un léger soupir – elle ne s'était pas attendue à une réponse plus bavarde que celle-ci -, la gitane eut une seconde d'hésitation. Elle se mordit très légèrement les lèvres, geste inconscient transmettant sa gêne, et ouvrit la bouche à son tour. Elle non plus ne quittait pas le rouquin des yeux.

- … le lieutenant Lance (Elle cracha légèrement son nom, sans s'en rendre compte.) est arrivé sur l'île, comme vous devez le savoir, et... il m'a choisie pour le suivre à Sinnoh.

Elle se tut alors, regardant Neel comme s'il pouvait comprendre ce qui se tramait dans sa petite tête brune. Comme s'il pouvait savoir. Son regard restait droit, fier, mais il était également paniqué et inquiet. Elle ne voulait pas partir. Elle ne voulait pas suivre ce type. Son bourreau. Mais comme Vincent ne disait rien, elle se sentit obligée – et forcée – de rajouter une petite supplique, devenant bien plus bavarde qu'à son habitude.

- … je voudrais rester ici sous vos ordres.

Et de se vendre un peu, quitte à mentir.

- La marée est pour bientôt. J'ai fait des études d'archéologie, je sais lire les alphabets anciens, je pourrais vous aider à trouver ce trésor.

Rafaël le fixait, dans l'attente insupportable d'une réponse de vie ou de mort. Elle croisa les bras, attendant.

S'il vous plaît, gardez-moi avec vous.

Rafaël attendait, silencieuse et angoissée. En extérieur, elle paraissait pourtant toujours aussi calme, aussi fermée qu'à son habitude. Mais ses yeux trahissaient une panique et une peur incontrôlables.

« D'accord. Si tu peux te rendre utile, je te garde. »

Soulagement. La gitane ferma les yeux, soupirant intérieurement. Une lourde pression s'échappa de ses épaules, glissant agréablement sur son corps en picotements de peur et de joie. Elle échappait à Lance. Et ça... après ça, elle pouvait supporter n'importe quelle mission, n'importe quel ordre – ou presque – que lui lancerait le lieutenant roux.

« Maintenant que tu es là, installe-toi. Tu as fait de la route et si tu es fatiguée tu ne seras bonne à rien. »

Le Guériaigle approuva les mots de son dresseur en y ajoutant une exclamation joyeuse. Mais oui, qu'elle vienne avec eux ! Il faisait frais ce soir, et l'eau chaude était divinement agréable. Rafaël baissa les yeux sur la roche cendrée. Elle déposa alors son sac au sol, pas trop proche du bassin, et après une légère hésitation, elle s'assit près du rebord, l'air un peu pataud encore. Comme si elle venait d'échapper à une menace terrible et qu'elle s'en remettait doucement. L'aigle, qui décidément ne la quittait pas du regard, l'appela à nouveau, lui intimant de les rejoindre. Mais la gitane ne se glissa pas dans l'eau chaude, conservant une barrière de hiérarchie et de sécurité entre Vincent et elle.
Silencieuse, elle porta son regard clair sur le rouquin, dans l'eau. Elle remarqua alors une légère blessure sur son bras, et ses yeux glissèrent un instant sur son corps avant de s'en écarter par pudeur. C'était étrange. Elle se sentait baignée par un sentiment nouveau, par une rare effluve qu'elle n'avait jamais ressentie depuis son entrée dans la Team. De la reconnaissance.

« Retire tes habits et va dans l'eau. »

Le rouquin venait de grogner. Rafaël, dont le regard s'était quelque peu perdu dans le vague, releva les yeux et la tête. Elle observa silencieusement Neel quelques secondes. L'aigle, à ses côtés, paraissait très sympathique. Il l'invitait à entrer dans l'eau de manière bien plus ouverte que son dresseur, en poussant de petits cris joyeux.

- …

Rafaël regarda l'eau. Le rejoindre, là-dedans... nue ? Pas question. Son visage se renferma et ses sourcils se froncèrent un peu. Elle n'était pas obligée. Ce n'était pas un ordre. Et puis, quand bien même ce serait un ordre... La gitane jeta un coup d’œil au lieutenant, nu et à l'aise dans son bain. Il faisait chaud, oui... et visiblement, le rouquin n'était pas encore prêt à partir. Mais cela ne justifiait pas le fait de se déshabiller devant lui. Alors, elle refusa tout simplement.

- Non. J'attendrai.

Et donc, tout simplement, elle croisa les jambes, les bras... et attendit. Malgré la chaleur.

« Si tu n’as rien de mieux à faire, va plutôt te chercher une chambre à l’auberge », grogna la voix du rouquin.

Rafaël leva les yeux vers le lieutenant et haussa un sourcil surpris en le voyant quitter l’eau. Ah, visiblement, elle l’énervait. En silence, la gitane l’observa d’un œil curieux et gêné. Le rouquin était grand, musclé, typique de l’idée qu’elle se faisait d’un homme. Solide, fort, menaçant. Rafaël détourna le regard et elle se redressa.

- … bien, j’y vais, répondit la brune à celui qui s’éloignait déjà sans attendre de réponse.

Le Gueriagle arrosait les alentours en secouant ses belles plumes. Rafaël resta immobile quelques secondes, observant Neel disparaître, puis reposant ensuite le regard sur l’aigle qui se plaisait toujours à la fixer. Il lâcha un petit cri joyeux à son égard et lissa ensuite ses plumes de coups de bec précis. Rafaël leva les yeux vers le ciel étoilé et elle se demanda si à cette heure, elle pourrait trouver une chambre de libre. Autrement, tant pis, elle dormirait à la belle étoile. La jeune femme reprit alors son sac sur son épaule et n’ayant pas d’autres choix, elle retourna sur le sentier en direction du village d’Onnen. « Va plutôt te chercher une chambre à l’auberge », avait-il dit. En possédait-il une là-bas, lui ? … Peut-être qu’elle irait chercher un peu plus loin, dans ce cas.

Finalement, elle avait réservé une petite chambre dans une maison sans prétention. Parmi les quelques demeures d’Onnen, la majorité proposait des chambres d’hôtes à louer pour la nuit, et les prix étaient réellement abordables ici. Le vieux couple de la maisonnette proposait deux chambres pour les touristes, et Rafaël avait pris l’une d’elles pour la nuit. Malgré l’heure, elle avait trouvé un toit. La gitane avait aussitôt pris une douche, grandement appréciée après sa journée de marche, puis l’air n’était pas frais, elle avait revêtu un pantacourt confortable, associé à une tunique saillante bleu nuit. Elle avait vu une brasserie en venant, et elle sortit de la maison d’hôte en quête d’un repas à commander. Elle mourrait de faim. Arrivé là-bas, elle s’installa au comptoir sur un haut tabouret, et en attendant qu’on lui apporte le repas qu’elle avait commandé – un ragoût montagnard de la région, avec salade -, elle sirota en silence un cocktail sans alcool. Sans trop s’intéresser au monde derrière elle et évitant les quelques possibles regards lubriques, la jeune femme attrapa un journal sur le comptoir, qu’elle se mit à lire pour passer le temps.

« À Mell, plusieurs vols ont été recensés depuis les dernières semaines... (…) Les touristes s’inquiètent... (…) L'arrivée d'une éventuelle Team sur l'île ? »

Tiens, ils étaient repérés. Rafaël referma le journal en soupirant. Évidemment, ils étaient si peu discrets... Et puis, peut-être que l'attaque du casino avait eu quelques fuites. La gitane baissa le regard sur sa cuisse, songeuse. Et dire qu'elle, elle restait encore ici. Elle l'avait choisi, après tout, et avait préféré Neel à Lance. Bon choix ? Ça, elle n'en savait encore rien...

« Pour vous, ma jolie. De la part du monsieur juste à côté. »

Le vieux barman venait de lui tendre un verre. Un fond d'alcool et des glaçons. Du whisky. Et dieu savait à quel point elle connaissait cette boisson... Sans décrocher un mot, Rafaël chercha du regard le « monsieur juste à côté », s'attendant à tomber sur un nouveau pervers au regard aguicheur... quand elle rencontra la chevelure rouge de Neel. La jeune femme eut l'air profondément surprise, avant de se montrer un peu blasée. Les hommes. Tous les mêmes.

Elle hésitait encore à l'ignorer quand la personne qui se trouvait entre eux s'éloigna, son plateau-repas entre les mains. À présent, Rafaël pouvait observer à loisir le rouquin, et la réciprocité était valable. Elle fronça légèrement les sourcils, hésita. Elle ne pouvait pas bouger, elle attendait son repas. De fait, elle décida de pousser doucement le verre de whisky pour qu'il revienne à son propriétaire, soit devant Neel.

- Merci. Mais je ne bois pas.

Et surtout pas cette boisson, celle qui pouvait faire de n'importe quel homme honnête et joyeux une loque sans réaction et sans amour. Non, vraiment... non.
Mais puisque Neel était là, autant lui faire part de sa dernière découverte, et ce dans le silence le plus complet. Discrétion oblige. Rafaël reprit le journal et le lança à plat devant le lieutenant, pour qu'il puisse à son tour lire l'article. Puis la gitane s'appuya légèrement sur le bar, un coude sur le bois et le menton dans sa paume. Ainsi, son décolleté était un peu plus proéminent, mais elle ne s'en rendait pas vraiment compte. Songeuse, elle observait le barman en train de s'activer. Combien de temps encore, pour avoir son repas et filer ?

Un alcoolique. Voilà ce qu'il était. Retenant un soupir, la gitane observait le barman s'activer avec des clients. Elle se prit de passion quelques secondes à l'observer remuer le shaker professionnellement, avant de verser dans un haut verre un joli cocktail rosé.

Son attention fut ensuite captivée par le jeune homme qui déposa devant elle une assiette fumante. Rafaël se redressa et posa sur lui un regard intrigué et surpris. Bah, elle avait commandé à emporter... non ? Décidément. Elle fit une légère moue en l'observant s'éloigner, après sa petite tentative de charme et son regard appuyé dans le décolleté de la gitane. Tous les mêmes. Et la voilà qui se retrouvait avec son assiette de ragoût-salade, et des couverts. Bon... Puisque c'était là, elle n'avait plus qu'à manger, et vite, si elle voulait retrouver son calme avant demain.
D'ailleurs, la journée suivante s'annonçait chargée :

« On a besoin de publicité. Et il ne faut pas rester à tirer au flan. Demain, tu retournes travailler. »

La jeune femme lui lança un regard appuyé et blasé. Oui, oui... Elle décida de l'ignorer quelques secondes, ça lui ferait du bien, et elle goûta à son plat. C'était bon, authentique. Un peu lourd peut-être, elle ne finirait pas tout. Le serveur repassa alors, et lui adressa un nouveau sourire charmeur avant de jeter un regard plus neutre au rouquin à sa droite. La gitane haussa un sourcil et regarda Neel. Le garçon lui passa son plat, lui souhaita un bon appétit formel et repartit. Steak frites. Bof. Un mec. Tous les mêmes.

Après quelques secondes de silence, Rafaël regarda le journal et fut plus songeuse. Ils avaient besoin de publicité... oui et non. Elle, elle tenait surtout à ne pas finir en prison... Dès qu'elle le pourrait, de toute manière, elle quitterait cette team et leurs agissements morbides. Mais ce n'était pas le sujet. Où partaient-ils, demain ? Elle reprit une bouchée de son plat et posa le regard sur Neel. Elle s'était légèrement tournée vers lui, sa gorge à demi découverte.

- … nous partons à Elara ? Demain.

« Oui. Levé, huit heures sans faute. »

Rafaël poussa un discret soupir. Elle ne releva pas le « sans faute », qui était sans aucun doute une remarque due à ses retards prolongés et habituels, et se replongea dans son assiette. Bon, autant vite manger et vite regagner son lit. Demain ne serait sans doute pas une journée facile... Et un instant, elle se demanda si elle avait bien fait d'aller à la rencontre de Neel. L'interrogation fut pourtant vite conclue lorsqu'elle frissonna de peur et de dégoût. Oui. Avec Lance, ça aurait été une horreur. Avec Neel, au moins, elle semblait à l'abri de cela.
Elle semblait.

« C'était bon ? Vous n'avez pas tout mangé... il faut dire qu'ils vous ont mis la dose ! Dites, si vous voulez... on pourrait prendre un dessert chez moi ? Ce soir après mon service ? Ce serait vraiment dommage de vous voir disparaître... »

Surprise, la gitane avait écarquillé les yeux. Si elle avait l'habitude des remarques lubriques et des mains baladeuses, en revanche, on lui faisait rarement une invitation aussi charmante... et cela la laissa muette.
Mais elle ne put rien dire, que soudainement, elle se sentit tirer en arrière. Choquée, Rafaël voulut se défendre et frapper l'intrus quand elle se rendit compte qu'il s'agissait de Neel. Sa main resta en suspens – le contre-coup de la hiérarchie -, et elle se laissa tirer hors de l'établissement sans pouvoir dire un mot. Le pauvre serveur, ébahit, mit quelques secondes à se reprendre pour prévenir la sécurité. Et quand ils furent dehors, la farouche gitane reprit ses esprits. Elle frappa violemment le bras de Neel pour qu'il la relâche.

- Ça ne va pas ?! Cracha-t-elle, sauvage. Vous vous prenez pour qui ?!

Elle le repoussa, libéra son bras rougi. Il lui avait fait mal en plus, cet idiot. Et puis, même, parce qu'il était son supérieur il se pensait libre de tout acte sur elle ? Elle ne lui appartenait pas.

« Et si tu as le temps de t'amuser, passe le plutôt à te rendre utile. »

Rafaël fronça sèchement les sourcils. Toujours le même reproche, qui lui paraissait injustement infondé. Qu'avait-elle fait, encore ? Elle mangeait, simplement. Elle ne s'amusait pas. C'était bien lui qui lui avait dit de se reposer, non ? Et la gitane ne voyait pas en quoi elle avait pu fauter.

Neel la regardait froidement, le visage tordu par une espèce de fureur qu'elle ne comprenait pas, quand deux hommes s'approchèrent d'eux. La sécurité. Et le lieutenant, après lui avoir gentiment rappelé son rang de sbire, prit les choses en main. Pour le moment, Rafaël le laissa faire. Pour le moment. Et pour ne pas avoir d'ennuis, surtout. Alors elle se força à adresser un petit sourire – crispé – rassurant aux deux vigiles.

« J'allais rentrer avec ma compagne. »

Pardon ? Rafaël dut lutter pour ne pas lancer au rouquin un regard choqué. En plus de la proximité dérangeante et intolérable qu'elle avait avec le lieutenant, voilà qu'elle devait jouer ce jeu-là, maintenant ? Elle fronça les sourcils, soupira intérieurement, prit sur elle. Et cela lui coûta beaucoup.

Finalement, les deux vigiles abandonnèrent. Quand ils eurent disparus, Rafaël voulut s'écarter du rouquin, mais elle n'eut pas le temps qu'elle se fit entraîner de nouveau. Où ? Quand la direction devint incertaine – la maison où elle logeait avait été dépassée depuis quelques mètres -, la gitane freina et retira sèchement son bras pour se défaire de la poigne de Neel. Il lui faisait mal, bon sang.

- Ça suffit, cracha-t-elle, fière et digne. Votre crise, ça suffit.

Elle le regarda durement, toujours belle et fière même dans sa colère. Rafaël n'avait pas un tempérament à se laisser marcher sur les pieds, supérieur ou non. Elle ne s'écraserait pas.

- J'ai dit que je serai présente demain, à huit heures. Vous m'avez renvoyée tout à l'heure, alors jusque demain huit heures, ce que je fais ne vous regarde pas.

La gitane gémit de surprise quand, brusquement, elle fut attrapée par le col de sa blouse. Un bouton éclata, encore. Aussitôt, elle serra les dents et renvoya au lieutenant un regard noir et fier. Parce qu'elle était une sbire, elle devrait sagement se laisser faire ? Jamais. Elle avait assez donné.
Et encore, il lui reprocha son manque de travail. À cela, Rafaël ne répondit pas, n'en fut pas le moins du monde affectée. C'était normal qu'elle ne fasse pas bien son « travail » : elle n'avait aucune envie de le faire, voilà tout. Pourquoi voudrait-elle faire des choses aussi horribles ?

« Alors à moins que tu préfères repartir avec Lance, je te conseille de surveiller tes mots. »

La menace eut le mérite de calmer tout de suite la jeune femme, qui écarquilla les yeux d'horreur. Oserait-il, vraiment, la mener à Lance ? Oui, peut-être. Cette fois-ci, Rafaël ne préféra pas jouer avec le feu. Alors elle prit sur elle, encore, et baissa les yeux en fronçant les sourcils. Elle n'ajouta rien, se tut, s'écrasa.

Neel finit par la relâcher, assez sèchement, et lui cracha une nouvelle réplique avant de tourner les talons. Quant à Rafaël, elle resta immobile, silencieuse, la blouse ouverte sur sa poitrine et les yeux baissés vers le sol. Elle dut rester ainsi un long moment, sans s'en rendre compte, car lorsqu'elle revint à elle, ses épaules tremblaient de froid. Un passant s'approcha, lui demanda si ça allait, et elle ne répondit qu'évasivement avant de s'éloigner. Elle mit un peu de temps à retrouver son chemin et la maison dans laquelle elle logeait ce soir, et lorsqu'elle se coucha, elle était toujours aussi ailleurs. C'est avec beaucoup de mal, et quelques larmes de rage, qu'elle trouva le sommeil cette nuit-là.

Elle haïssait, vraiment, cette soumission affreuse dans laquelle on l'avait plongée.

Huit heures. Huit heures moins onze, en vérité. Rafaël se tenait devant la brasserie, patientant, attendant que le lieutenant arrive. Pour palier à la fraîcheur du matin, elle portait un large gilet gris épais, un jean sombre et un t-shirt à col haut. Tout pour se cacher, rien pour se montrer. N'osant pas tellement s'asseoir à table pour commander un café, elle patientait simplement debout face au soleil levant, lequel donnait à ses cheveux noir de jais un joli reflet bleu.

Elle avait passé une nuit épouvantable, d'ailleurs ses yeux sous son épaisse frange en étaient encore cernés. Une nuit à penser, à pleurer, à penser encore. À se demander pourquoi elle était là, ce qu'elle ferait si elle n'avait pas été enrôlée – une fac d'histoire, peut-être ? -, à se demander si sa vie aurait été autrement si sa mère ne s'était pas tuée. Une autre vie, un autre père, une autre avenir. Loin de la Team. Et Rafaël ne cessait de ressasser la même question depuis des heures.

Alors ce matin, puisqu'elle n'avait pas vraiment dormi, la gitane s'était levée tôt. Une douche, une main dans ses cheveux plus pour les ébouriffer que pour les coiffer. Un café au distributeur du centre, vers sept heures. Un fruit. Et elle avait marché, marché, jusqu'à parvenir à la brasserie. Elle ne savait pas tellement où le rouquin lui avait donné rendez-vous, alors elle avait supposé qu'ici, il la retrouverait facilement. Comme quoi, elle avait beau être inutile au travail, elle n'était pas vraiment stupide.
Juste un bon sbire, soumis et silencieux. Apeurée depuis la crise d'hier, fidèle aux ordres.

Voilà, elle était là. En avance, en plus.

« Hé. »

Rafaël quitta ses songes et se retourna. Ah, le voilà déjà ? Son regard clair glissa derrière lui, s'étonna un peu. Il venait de la brasserie, elle ne l'avait même pas vu. Il ne la salua pas, elle en fit de même. Et vint la première phrase désagréable, comme si le rouquin n'était capable que de ça.

« J'avais dit huit heures. »

- Parce que si je suis à l'heure, ce n'est pas bien non plus ?

La remarque avait été cinglante, quoique prononcée sur un ton moins défensif que d'habitude. Peut-être un peu plus las, plus fatigué. Rafaël commençait à montrer des signes de faiblesse, sa nuit avait été déprimante. Mais il fallait savoir, aussi. Quand elle était en retard, il l'engueulait, et quand elle était en avance, elle se faisait reprendre aussi. C'était quoi, la bonne attitude ?

« Tu as dix minutes encore pour manger. »

Et il lui mit un paquet dans les mains. La brune cilla, surprise. Ah ? Elle ouvrit la serviette pour découvrir un croissant frais, et resta étonnée quelques instants. Voilà qu'il la nourrissait, maintenant ? Il avait peur qu'elle ne meure de faim, en plus d'être une incapable ? Qu'il soit rassuré, elle n'allait pas se laisser mourir pour quelques simples répliques lancées vingt fois par jour... elle avait l'habitude. Elle avait l'habitude de tout. Enfin, elle remarqua surtout que le rouquin avait l'air d'être très à cheval sur les horaires. Huit heures, c'était huit heures, pas après, pas avant.

« Dès que tu as fini, on y va. Nous avons de la route », rajouta-t-il.

Rafaël regarda le croissant, replia la serviette autour. Elle n'avait pas faim, pour le moment. Peut-être le mangerait-elle en route. Alors elle le rangea dans son sac.

- … je le mangerai plus tard. On peut y aller.

Pour la première fois depuis aujourd'hui, elle le regarda vraiment, ancra son regard dans le sien. Et elle attendit simplement qu'il fasse le premier pas pour le suivre.