Le début mars apportait avec lui la fraîcheur d'un certain renouveau sur l'île. Les quelques neiges présentes fondaient déjà au sol, mais demeuraient sur les hauts sommets d'Onnen. De sa fenêtre, Rafaël observait les montagne aux loin et lâcha un léger soupir. S'arrachant à la vision d'une éventuelle et idyllique fuite, elle regarda son téléphone. Le message d'une nouvelle mission lui avait été envoyé ce matin. Cela l'étonnait, car de ce qu'elle savait, elle était encore actuellement sous les ordres du lieutenant Neel, et de toute évidence, ce message ne venait pas de lui. La gitane appuya sur un bouton et lut une énième fois le message annoncé.

« Mission. Arrivée d'un nouveau supérieur sur l'île. Rencontre à la sortie ouest de la ville, 13h, près de la boutique d'art. Directives sur place. »

Se prenant déjà la tête, Rafaël posa le téléphone sur la table et se prit le visage entre les mains. Elle espérait de tout cœur que ce ne soit pas Lance. Tout, mais pas lui. Ni Amos. Mais en parlant de supérieur, qui cela pouvait-il bien être, si ce n'était pas un des lieutenants de la Team ? Un sergent ? Elle devait avouer de ne pas tous les connaître.
Prenant sur elle pour combattre sa légère angoisse, la brune se prépara alors à se rendre au rendez-vous. Bien entendu, elle ne revêtait pas l'uniforme de la Team Rocket. Un simple pantalon noir, une veste grise. Elle n'avait quasiment plus de douleur au ventre, signe que la plaie s'était bien refermée depuis le temps. Songeuse, elle observa la porte. Le lieutenant n'était pas venu dans sa chambre, ce matin. Dans ce cas, elle n'avait qu'à suivre l'ordre reçu. Comme il en était l'usage depuis des années.

En retard comme d'habitude, Rafaël arriva sur les lieux du rendez-vous. L'ouverture ouest de Mell amenait à un chemin au milieu des champs et clairières. Déjà, au loin, on pouvait apercevoir les bois de Roza. Alors que l'angoisse montait en elle, la brune se rendit à l'angle de la boutique d'art, comme convenu. Personne ne s'y trouvait. Perplexe, la sbire sortit son téléphone pour relire le message. Non, c'était bien ici, et il était déjà treize heures et quart. S'était-elle trompée ? S'agissait-il d'une blague ? Non, ça, ça m'étonnerait... Elle leva les yeux, et son regard gris-vert observa autour d'elle, doucement scruteur, doublement méfiant.

Soit, elle attendrait. Elle n'avait pas le choix de toute façon.

« En avance, c'est bien. Rafaël, c'est ça ? On t'as donné les détails de la mission ? »

Ce fut une voix féminine qui sortit Rafaël de ses pensées angoissées. Surprise, elle leva les yeux, pour voir approcher une personne à demie cachée sous ses vêtements. Décontenancée, la sbire ne put même pas répondre à la question posée qu'elle continuait de l'observer. C'était ça, enfin, elle, son supérieur ? Une femme ? L'autre n'attendit pas de réponse pour continuer :

« On doit aller à la Maison Pokémon pour recenser les Pokémons présents. Une mission de routine, en gros. »

Ne laissant pas à la gitane le temps d'analyser ses paroles, la dénommée Crimson continua de marcher et quitta la ville. Abasourdie, Rafaël resta sur place quelques secondes, le temps de mettre de l'ordre dans ses idées. Pas Lance ou Amos, une femme. Pas un des lieutenants de la Team Rocket à sa connaissance, un Sergent alors ? Une personne peu à cheval sur les horaires en tout cas, ça changeait de Neel. La mission, maintenant. Avait-elle bien dit... la Maison Pokémon ?

« Si tu es prête, je te propose d'y aller tout de suite. Si tu ne l'es pas, prépare toi et reviens pour 14 heures grand maximum. Si tu n'es pas là, je partirai sans toi. »

La jeune femme – elle ne paraissait pas très âgée – s'était retournée vers elle, actuellement à quelques mètres de la gitane. Sortant de ses pensées, Rafaël se perdit un moment dans son regard. C'était bien la première fois qu'on lui donnait un ordre aussi... gentil ? Cela resta Rafaël béate de surprise, mais elle se reprit rapidement.

- Non, je... je suis prête.

Elle s'avança alors vers la Sergent, perplexe. Elle n'avait pas spécialement l'habitude d'être traitée de la sorte, avec une attitude aussi laxiste. Elle était ici depuis treize heures, enfin, un peu plus,  donc elle était prête. Arrivant à la hauteur de Crimson, Rafaël la regarda, hésitante.

- Vous avez parlé de la Maison Pokémon ?

Ça, ça l'embêtait, vraiment. Mais à la limite, peut-être pouvait-elle juste faire le guet dehors ? S'occuper du jardin ? Elle s'occuperait des détails une fois là-bas.

Spoiler:

L'ordre était donné, et les deux femmes quittaient tranquillement Mell en direction de Roza. De ce côté ouest de l'île, il s'agissait d'un élégant sentier tout en verdure, un chemin de terre creusé dans une prairie sûrement très ancienne. Au loin, le bois était vaguement visible, mais l'herbe et les fleurs s'étendaient sur plusieurs kilomètres. À pieds, les deux femmes se préparaient à une bonne heure, voire plus, de marche. Tout ça, pour se rendre à la Maison Pokémon. Et voler, encore.

« Oui. On doit recenser les Pokémons qui y vivent. »

Recenser, bien voyons. Rafaël se souvenait très bien de sa première mission dans cet endroit. Aaron et elle avaient dû observer les lieux, trouver les éventuels dispositifs de sécurité et recenser les Pokémon qui s'y trouvaient. Résultat, quelques jours plus tard, de nombreux Pokémon orphelins avaient été volés pour le compte de la Team Rocket. Et cela, la gitane s'en voulait encore. Alors, y retourner...

« Allons-y. »

Rafaël observa la jeune femme avancer et serra les dents, prenant sur elle. Elle ne voulait pas y retourner. Elle ne voulait pas que ces vols et ce trafic recommence. Songeuse, la brune observa l'horizon. Elles avaient une bonne heure de route devant elles, c'était l'occasion d'en savoir un peu plus sur cette inconnue de supérieure, et peut-être, négocier la mission ? Ce n'était pas du tout dans les habitudes de la jeune sbire, mais après tout... Lentement, elle changeait. Puisqu'elle était prisonnière de cette Team, pourquoi ne pas continuer à la détruire, doucement, de l'intérieur ? C'était risqué, elle avait peur. Mais elle osa.

Avançant sur les pas de Crimson, Rafaël resta silencieuse de longues minutes, aussi intimidée que lors de ses voyages en voiture avec le lieutenant Rey. Après une dizaine de minutes toutefois, elle osa, incertaine.

- Je ne connais pas votre nom, dit-elle. On ne me l'a pas communiqué.

Autant savoir, déjà, à qui elle avait affaire. Le reste viendrait tout seul.

A la demande plutôt timidement formulé de Rafaël, la Sergente répondit simplement. Crimsonfall, donc. Un nom d'emprunt, de toute évidence, comme le lieutenant Neel en usait. Hochant légèrement la tête en réponse, Rafaël reposa les yeux sur le chemin et médita un instant sur la question. Pourquoi tous les supérieurs Rocket usaient-ils d'un surnom ? Pour ne pas être reconnu des autorités, si jamais cela tournait mal ? Pour se dissimuler derrière la signature d'un surnom ? Pour se sentir quelqu'un d'autre ? C'était accorder peu de louanges à sa propre identité, pensa-t-elle amèrement. Mais après tout... elle n'était pas mieux. Rafaël n'était pas non plus son véritable nom. Songeuse, dépitée, la sbire passa une main sur son visage en retenant un bref soupir.

« Qu'est-ce qui ne va pas ? »

En entendant les mots de la Sergente, la gitane leva les yeux vers elle, étonnée. Elle s'arrêta un bref instant, ses yeux gris-vert cherchant sous le tas de vêtements à rencontrer le regard de l'autre femme. C'est ainsi qu'elle aperçut, poussée par la brise du vent, l'éclat argent d'une mèche blanche. Elle s'étonna. Ses cheveux étaient-ils tout blancs ? Cela l'intrigua une seconde, avant qu'elle ne se reprenne. Elle était restée muette de surprise quelques secondes, un temps suffisamment long pour agacer la supérieure, peut-être.

- … Rien...

La brune reprit son chemin, légèrement perturbée. Elle jeta un regard en coin à la jeune femme, étonnée par sa non-violence. Ou bien elle était d'un tempérament froid et posé, ce qui n'excluait pas des possibles crises de colère. Après tout, tous n'étaient pas aussi sanguins que Neel, dans la Team. Amos était lui aussi plutôt calme, contrairement au violent Lance.
Bref. Elle poursuivit son discret ou indiscret interrogatoire :

- Vous venez d'arriver sur l'île... c'est ça ?

Sous ses yeux ébahis, la dénommée Crimsonfall fit tomber son masque. Repoussant en arrière sa grande capuche et son foulard, elle laissa apparaître une chevelure blanche et des yeux argent, qui dénotèrent soudain au milieu de la verdure de la forêt. Rafaël la fixa un instant avec surprise. C'était une belle femme, et dans un tel milieu, la gitane comprenait aisément pourquoi elle se cachait ainsi. Par pudeur, elle détourna les yeux et se reconcentra sur la route. Elle en avait même oublié de répondre à sa question, qu'elle se remémora alors :

« Il s'est passé quelque chose à la Maison Pokémon ? »

Une fois encore, Rafaël parut surprise. Ou cette femme était très perspicace, ou on pouvait lire sur le visage de la gitane comme dans un livre ouvert... et la seconde option, comme la première, ne lui plaisait pas. Elle détourna à nouveau le regard et marcha d'un pas légèrement plus rapide, comme pour mettre fin à la discussion.

- Non. J'y suis seulement déjà allée en mission de repérage, il y a plusieurs mois.

Elle hésita. Pouvait-elle se permettre d'en dire plus ? La Sergente ne semblait pas très sévère, comparée à d'autres. Elle attendit que la jeune femme réponde à sa question suivante, où elle affirma avoir été très mal reçue – ça, Rafaël n'en savait rien -, puis elle se mordit la lèvre et osa. L'argentée semblait plutôt ouverte aux discours, c'était encourageant.

- Si je peux me permettre... des Pokémon ont déjà été volés, là-bas. Je ne sais pas s'il y a eu des changements, depuis. Ce n'est peut-être pas très utile d'y retourner.

Rafaël avait hésité, mais osé. Et c'est à présent tendue qu'elle attendit la réponse de Crimsonfall, avec du moins une certaine appréhension. Il serait normal, du moins elle avait l'habitude, que son supérieur se mette soudain à s'énerver, à la traiter d'incapable, à la frapper peut-être, à lui dire de se taire surtout et de s'exécuter, point. D'ailleurs, elle portait encore un léger bleu sur la joue, le dernier à mettre un peu de temps à partir. Avec Neel, il était évident que cette remarque ne serait pas passée. Et avec Crimson... ?

Lorsqu'une main se posa sur son épaule, Rafaël se crispa tout à coup. Elle ferma les yeux, comme attendant quelque chose qui ne vint pas. À la place, des mots plutôt doux :

« J'ai cerné le problème. Tu culpabilise pour le vol de ces Pokémons, c'est ça ? »

La sbire écarquilla les yeux, un peu surprise. La Sergente venait de se placer devant elle, l'évitant de fuir, pour autant elle ne paraissait ni agressive ni colérique. Au contraire, elle afficha même un léger sourire, le premier que Rafaël put voir. Déstabilisée, la brune fit un pas en arrière.

« Si j'ai raison. Je pourrai rendre un faux rapport. »

Qu'est-ce qu'elle disait là ? Rafaël écarquilla les yeux, sidérée par les propos de la jeune femme. Pensait-elle vraiment ce qu'elle disait ? Ce moquait-elle d'elle, attendant que la sbire rentre dans son jeu pour brusquement retourner la situation et la frapper ? Ce serait une réaction normale, dans cette Team... Alors, effrayée, la gitane regarda Crimson sans comprendre réellement les intentions de la jeune femme.

- … Vous...

« Vous vous moquez de moi, c'est ça ? » Elle n'osa pas prononcer la fin de sa phrase, tant elle hésitait, tant elle suspectait ce qui pouvait se produire. En toute logique, un supérieur de la Team Rocket ne pouvait pas être gentil, c'était évident. Rafaël avait de nombreux exemples à la clef. Alors... quoi ? Qu'est-ce que Crimson cherchait en lui disant tout ça ?
Inquiète, Rafaël préféra se substituer à la soudaine et étrange compassion de la Sergente et jouer la bonne sbire, comme toujours. C'était plus prudent. Elle s'écarta alors de l'argentée et reprit son chemin comme si de rien n'était.

- La pension est encore assez éloignée, nous avons de la route à faire. Mais je vais vous guider... je connais le chemin.

« Bien. »

Après ça, la Sergente n'ajouta rien. Le silence s'installa entre les deux femmes, alors qu'elles poursuivaient le chemin jusque Roza. Autour d'elles, ce n'était que nature. De l'herbe à perte de vue, des arbres variés et des collines. Au loin là-bas, le bois se dessinait. Et de temps à autre, un Pokémon faisait son apparition. Rafaël suivit du regard un groupe de Charmillon voletant joyeusement en direction de la montagne, puis elle regarda avec intérêt deux Balignon se disputer quelques baies.

Le silence n'était pas tellement pesant, le chemin était agréable, le soleil timide et doux, néanmoins Rafaël restait tendu. Le fait d'être accompagnée d'un supérieur de la Team, quelque soit Crimson, la stressait. Certes, la jeune femme ne paraissait pas intimidante. Au contraire, même, elle avait l'air de compatir à sa situation ? Cependant elle ne connaissait rien d'elle. Sur le chemin, la jeune sbire jeta divers coups d'oeils à sa supérieure, ne sachant pas encore qui était cette personne. Et ça l'énervait, de ne pas savoir. Elle n'avait jamais vu son nom nulle part.
Et puis... elle lui proposait d'écrire un faux rapport ? Sérieusement ? Rafaël lui jeta un nouveau regard inquisiteur. Elle n'osait pas tellement y croire. Il fallait qu'elle sache. Alors, doucement, elle continua son interrogatoire.

- … Vous êtes affectée à Hoenn et ses environs, d'ordinaire... ? Demanda-t-elle d'une voix légère. Je ne crois pas vous avoir déjà vu avant.

Non, de mémoire, elle n'avait jamais aperçu le visage atypique de la Sergente. Elle s'en souviendrait, autrement. La gitane hésita, une fois encore, et se lança :

- De fait... Vous êtes sous les ordres du lieutenant Rey ?

Doucement, l'air de rien, la gitane continuait son interrogatoire. Oh, Rafaël n'était pas un modèle de discrétion, elle le savait bien, mais elle avait une mémoire telle qu'elle se souviendrait toujours de la moindre chose entendue, alors toute information était bonne à prendre. Et puis, ce supérieur était si différent de ceux qu'elle connaissait, qu'il fallait dire que Crimson l'intriguait au plus haut point.

La Sergente lui raconta alors ce qu'elle faisait avant de venir ici, et ce qu'elle avait fait à son arrivée sur l'île. Rafaël lui jeta un coup d’œil, étonnée d'une telle franchise. Du moins, d'un tel discours. C'était comme si la jeune femme s'ouvrait totalement à elle, sans passer par des chemins détournés. En gros, Crimson ne paraissait pas du tout être un sergent de la Team Rocket. À vrai dire, elle ne paraissait même pas en faire partie. Perplexe, la sbire lui demanda si elle était sous les ordres de Neel. Elle approuva.

Une fois encore, Rafaël lui jeta un regard perplexe. Comment une telle personne pouvait être gradée dans une organisation aussi machiste, aussi horrible et dangereuse ? Ou alors, Crimsonfall cachait très bien son jeu, et Rafaël devrait se méfier. À vrai dire, c'était toujours comme ça, en vérité.

- Hm... C'est par là, fit-elle en ouvrant un chemin dans les bois.

Ce serait plus rapide, et plus discret, que de passer par le centre de Roza. Et puis ainsi, elles arriveraient par-derrière le jardin de la Pension, et pourraient apercevoir quelques Pokémon avant d'être aperçus par les gérants. Du moins, en principe.
Encore quelques minutes, et les deux femmes arrivèrent à la Maison Pokémon. Effectivement, dans le jardin, une dizaine de Pokémon s'amusaient entre eux. À l'entrée de la maison, deux garçons saluaient le vieux couple et s'éloignaient, un étrange Pokémon – elle supposait que ça en était un – dans les bras.

- Nous y sommes... fit alors Rafaël, le ton un peu bas, l'air dépité d'avance.

Enfin, les deux femmes arrivèrent à la Maison Pokémon de Roza. Un lieu idyllique, avec ses plaines, ses forêts verdoyantes et cette jolie bâtisse de bois et de pierres, sûrement ancienne, mais qui n'avait rien perdu de son charme. Sur le devant, un vaste jardin clôturé de barrières en bois comprenait une grande pelouse, quelques jeux de bois ainsi qu'un petit lac. Cet endroit respirait la joie de vivre, et pourtant, Rafaël ne s'y sentait pas du tout à l'aise.

« Bon, je suppose que tu ne veux pas entrer. Reste à l'extérieur et tâche de ne pas te faire repérer. »

Les mots de Crimson étonnèrent la gitane, qui ne trouva rien d'autre à faire que d'hocher vaguement la tête. D'accord, merci. Et tandis que la Sergente s'éloignait vers la maison, la sbire elle resta à l'extérieur. Elle s'approcha d'une des barrière pour regarder le jardin, puis leva le regard sur la maison et ses fenêtres. Ici, c'était ici qu'elle avait abandonné Law et qu'elle ne l'avait plus vu. Connaissant le Ranger, il était évident qu'il ne s'y trouvait plus. Imperceptiblement, la main de Rafaël se crispa sur son sac. Dedans se trouvait toujours la pokéball du Milobellus, le Pokémon orphelin du marin décédé. La jeune femme baissa les yeux et fronça les sourcils, décimée toujours par ce sentiment d'intense culpabilité. Et si elle avait longuement hésité à remettre le Pokémon au couple de la Pension, elle savait maintenant que ce n'était pas du tout une bonne idée.
La mission d'aujourd'hui ne faisait que renforcer les craintes de la sbire Rocket. Cependant, elle ne savait toujours pas quoi faire du pauvre Pokémon. Depuis tout ce temps, elle n'avait jamais senti la pokéball remuer une seule fois, et elle tremblait à l'idée de l'ouvrir et d'affronter le regard du serpent malheureux. Alors, la situation restait à ce jour inchangée, et elle n'était pas prête de changer, pensa amèrement la gitane. Quoique... Elle posa le regard sur l'entrée de la maison, sur Crimsonfall. Et elle repensa à ses mots. Rendre un faux rapport, avait-elle dit. Vraiment ?

Dans la maison, le vieil homme qui avait abordé Crimson lui fit un gentil sourire.

« Un jour ? Vous savez, parfois nos petits protégés ne restent pas longtemps ! Et regardez, ce petit Goupix semble vous apprécier. »

Il désigna un effet une femelle Goupix qui tournait autour de la Sergente, la reniflant un instant avant de s'asseoir à ses pieds, la fixant avec intérêt. Peut-être avait-elle été attirée par sa longue chevelure blanche ? En tout cas, le spectacle fit doucement rire le gérant de la Pension.

« Peut-être devriez-vous faire plus ample connaissance ? »

Alors que la jeune femme reposait le petit Pokémon feu au sol, le Gérant eut un léger sourire. C'était souvent comme ça que ça se passait, en vérité, et il ne s'habituerait jamais aux visages déçus de ses petits pensionnaires. Il posa une main rassurante sur la tête du renardeau.

« Je comprends, répondit-il à Crimson. Je ne peux rien vous promettre, mais j'espère que vous reviendrez vite. Elle a l'air de beaucoup vous apprécier. »

Et sous le regard de l'homme et du Pokémon, la Sergente sortir. Dehors, Rafaël attendait toujours du côté des barrières. Perdue dans ses pensées, elle observait dans l'étang un Wailmer sautiller joyeusement. Quand un éclat blanc attira son regard, elle tourna la tête et aperçut sa supérieure qui s'approchait d'elle.

« Allons-y, Rafaël. »

Fit-elle simplement en la dépassant. La sbire s'inquiéta soudain de son visage fermé et jeta un regard en arrière. Quelque chose s'était mal passé ? Crimson ne s'était éloignée qu'une dizaine de minutes, pas plus lui semblait-il. Avait-elle de mauvaises nouvelles à lui annoncer ? La Team avait peut-être encore sévi dans la Pension ?

- Qu'est-ce que... commença la gitane, avant de se stopper.

Dans le jardin, un Goupix s'approchait à toute allure du couple de femmes. Rafaël l'observait faire avec étonnement. Qu'est-ce que voulait ce Pokémon ? Celui-ci, poussant de petits gémissements, vint alors sauter dans les bras de Crimson, que cette dernière s'y attende ou non. Derrière, bien plus lentement, le gérant de la Pension accourait.

« Goupix ! Non, reste ici, veux-tu ? Je suis désolé... j'ai voulu le retenir mais il s'est précipité. »

Spectatrice silencieuse de la scène, Rafaël observait, perplexe, le Goupix qui semblait s'accrocher à la Sergent Rocket. Son comportement montrait clairement que le renard souhaitait suivre la jeune femme. D'ailleurs, Rafaël se remémora avoir déjà vu ce petit Pokémon lors de sa première mission, et lorsqu'elle était venue ici avec Law. Elle se souvenait parfaitement de sa jolie tête et de l'une de ses oreilles plus foncée que l'autre.
Mais au regard appuyé de Crimson vers la forêt, la sbire hocha légèrement la tête. Oui, il était temps de partir. Surtout que le vieil homme semblait la regarder curieusement, comme s'il cherchait à se souvenir d'une information qui lui échappait. Rafaël ne traîna pas plus. Elle détourna la tête, serra un peu son gilet contre elle et s'éloigna sur le chemin. Crimson la rejoindrait vite, elle l'espérait. D'ailleurs, c'était bien la première fois qu'elle espérait une chose de ce genre. Derrière elle, la Sergente se débarrassait avec difficulté du Pokémon abandonné. Lorsqu'elle le reposa au sol, le vieil homme l'attrapa sans tarder.

« Allez, ma jolie, ne t'en fais pas. Tu as entendu la dame ? Elle reviendra te chercher. Et si ce n'est pas elle, tu trouveras un bon maître, j'en suis certain. »

D'une caresse sur la tête, il rassura la renarde qui baissa tristement les oreilles. Peut-être que Crimson lui rappelait son ancienne dresseuse, qui sait ? Ou bien sa chevelure d'argent lui semblait rassurante. Toujours est-il qu'elle observa la jeune femme s'éloigner avec tristesse et impuissance.

Quand la Sergente fut au niveau de Rafaël, cette dernière ayant un peu ralenti sa marche pour que sa supérieure la rattrape, elle observa le visage fermé de Crimsonfall. La gitane jeta un dernier regard en arrière, vers la jolie maison de pierres, puis elle observa la femme à nouveau. Quelque chose l'embêtait, elle n'aurait su dire quoi. Peut-être cette impression que cette femme, Sergent de la Team Rocket, pouvait être une bonne personne ? Autrement, jamais le petit renard n'aurait voulu la suivre.
La sbire reprit sa route, silencieuse, et ne rompit le silence qu'après quelques minutes :

- Il voulait venir avec vous. J'ai déjà vu ce Pokémon, il est là depuis plusieurs mois.

Loin de là l'envie de la culpabiliser, au contraire. La gitane abordait doucement le sujet, avec ce qui s'apparentait à de la compassion. Regardant à nouveau la Sergente, Rafaël hésita et poursuivit. Ce n'était plus un interrogatoire cette fois-ci, seulement une discussion presque... amicale ?

- Vous avez beaucoup de Pokémon ?

Ce n'était plus un interrogatoire cette fois-ci, seulement une discussion presque... amicale ? Ce qui avait de quoi surprendre en vérité.

« Je sais. Mais je ne veux pas qu'il ne subisse de traumatisme psychologique dû aux actes que je commets au sein de la team. Je pense que tu me comprends. »

A ces mots, Rafaël regarda la Sergente, surprise. Les yeux gris un peu écarquillés de surprise. C'était la première fois de sa vie qu'elle entendait un tel discours de la part d'un membre de la Team Rocket. De la part d'un Supérieur, qu'il soit sergent ou lieutenant. Un Rocket qui prenait soin de ses Pokémon ? Lorsqu'on y songeait, ce n'était pas si étonnant en soi, de prendre soin de ses Pokémon, et pourtant... au sein de cette organisation, c'était rare. Parce qu'en plus, Crimson ne s'en cachait pas : elle commettait des violences et des actes affreux. Pour autant, elle semblait prendre soin de son équipe, et ça, cela plaisait à la jeune femme.

« Trois, pour l'instant. Tu veux les voir ? »

Répondit-elle lorsque Rafaël s'interrogea sur son équipe. Elle la regarda, de nouveau étonnée. Elle en perdait ses mots, tellement la Sergente ne cessait de la surprendre.

- Oh, je... d'accord ? Balbutia-t-elle.

Et, dans cette ambiance, la gitane se détendit. Elle qui gardait toujours les bras serrés contre sa poitrine, serrant constamment un épais gilet contre sa poitrine quelque soit le temps, comme pour se protéger, elle osa se détendre et laissa ses bras tomber le long de son corps. Sous son gilet, un simple débardeur gris foncé, vaguement décolleté malgré elle. C'est qu'il commençait à faire chaud en ce début de printemps, surtout lorsqu'on marchait aussi longtemps dans les plaines.

Alors que le soleil de cette fin de matinée était haut dans le ciel, les deux femmes s'arrêtèrent un instant sur le chemin. Et devant les yeux curieux de la gitane, Crimsonfall sortit un à un les Pokémon qui formaient son équipe. Ils étaient au nombre de trois : un Farfuret, un Rapion et un grand Drakkaarmin. Rafaël fut un instant impressionnée, un peu intimidée. C'était une belle équipe, le genre qui saurait parfaitement se défendre en cas de coup dur. Mais en même temps, Crimson était un sergent, elle devait défendre son honneur. Et dans la Team Rocket, les femmes devaient savoir se défendre.

« Le Farfuret, c'est Slash. Le Rapion, c'est Scorpio. Et le Drakkarmin se nomme Drake. »

Silencieuse, la brune observait un à un les Pokémon de la jeune femme. Les noms n'étaient certes pas très originaux, mais le simple fait qu'ils en aient un prouvaient que leur dresseuse avait de l'affection pour eux. Cela rassura la sbire, les trois Pokémon avaient l'air calmes et en pleine forme.

Soudain, elle sursauta et se crispa. Quelque chose venait de grimper rapidement le long de son dos jusqu'à ses épaules, et elle comprit ensuite qu'il s'agissait du Farfuret, Slash donc. Rafaël s'inquiéta un instant qu'il la blesse, mais au contraire, malgré son apparence le Farfuret était très doux. Il devait avoir l'habitude de grimper sur les épaules de sa dresseuse. Il frotta même affectueusement sa joue, étonnant la gitane qui n'avait l'habitude de ce genre de réactions qu'avec Thane, et encore.

« Scorpio m'a été offert par la Team environ un an après mon arrivée. Il a la fâcheuse habitude de voler des choses...ça lui fait un point commun avec quelqu'un...C'est l'une des raisons pour laquelle je ne le laisserai pas t'approcher, l'autre étant que je ne voudrais pas qu'il te touche avec les extrémités de sa bouche, qui sont extrêmement vénéneuses. »

Avec quelqu'un ? Parlait-t-elle d'une de ses connaissances ? Rafaël ne releva pas, cela ne la regardait sans doute pas, et elle hocha la tête en réponse. Oui, elle comprenait, ce n'était d'ailleurs pas plus mal. Elle osa attraper doucement le Farfuret pour le reposer au sol. Ce dernier lui rappelait tout de même son Pokémon, Thane. La gitane hésita et regarda Crimsonfall. Cette dernière ne ressemblait en rien aux autres supérieurs de la Team, de fait, la brune osa attraper une de ses Pokéball. Un éclat rouge, et Thane, son Sablaireau, en sortit. Il regarda un instant autour de lui, étonné, puis toucha du bout des griffes les jambes de sa dresseuse. Un geste affectueux en soit.

- Voici Thane, fit la sbire. Il me fait un peu penser à votre Slash.

En effet, en voyant le Farfuret, le Sablaireau sembla un instant étonné. Il était de nature très gentil, mais rentrait vite en compétition avec les créatures ayant plus ou moins de griffes qui lui. Il aiguisa alors les siennes, fixant de ses petits yeux noirs le Farfuret.