« Nosce te ipsum »
- Putain de bateau à la con !Pour la énième fois, Zarpa venait de la lâcher. Certes, le voilier ne lui avait pas coûté bien cher, il avait été réparé et renforcé avec les moyens du bord. Certes, il avait été âpreté en pseudo-bateau de pêche, ce qui était un poil trop lourd pour lui, mais il flottait et avançait courageusement contre vents et marées cinq jours par semaine.
Sauf ce matin-là.
Valen se massa violemment la figure pour se contenir et éviter de fracasser le navire à coups de pieds et de poings. Elle le regretterait amèrement, elle adorait son bateau.
Ce n’était simplement pas sa semaine.
Tout avait commencé mardi, après un coup de fil de son grand-père. Okana, sa grand-mère, n’allait pas bien. Elle était tombée malade il y avait plus de deux semaines et luttait contre un virus qui se révélait dangereux, à son âge. Bien évidemment, Valentine était morte d’inquiétude et cela se manifestait par une impatience exagérée et une colère dirigée contre à peu près tout le monde. Son grand-père avait refusé qu’elle vienne, il était selon lui inutile qu’elle perde du temps et de l'argent dans les transports pour se rendre à Alola, il la tiendrait au courant jour après jour.
En attendant, la brune se rongeait les sangs.
Le soir même, Valen accepta l’invitation de collègues marins à venir boire un verre dans l’un des pubs de Marivon. La jeune femme avait noyé son angoisse dans l’alcool et la soirée s’était terminée dans la cale d’un bateau voisin, dans des ébats crades et précipités. Le lendemain, elle l’avait regretté. Oh, Mari l’aurait certainement rassuré à ce sujet. Elle lui aurait dit que tant qu’elle avait été consentante et protégée, cela passait. Ce n’était qu’une expérience comme une autre. Il faudrait éviter la prochaine fois, mais ça passait.
Le lendemain, Zarpa ne démarrait toujours pas, les recettes étaient à zéro et son grand-père ne paraissait pas plus optimiste au téléphone.
Le soir venu, Valen avait recommencé. Elle avait l’alcool triste, ça la rendait fragile.
En fin de semaine, recroquevillée au bout du port, les genoux pliés contre sa poitrine, Valen regardait la mer en faisant fi du vent qui lui claquait en pleine figure. Ils étaient rares, les moments où elle se posait ainsi. Et pas franchement optimistes. Couché près d’elle, Anja appuyait la tête contre ses jambes afin de lui rappeler discrètement sa présence. Blue picorait des restes de pêche sur le granit. Même Lechat n’était pas loin, il sentait que la brune n’était en forme.
Valen ne les regardait pas, elle était déjà loin. Loin dans ses pensées, à se demander pourquoi elle était encore là. Pourquoi elle était venue sur cette île, à s’acharner à retrouver un frère qui était sans doute très loin, pour une histoire d’héritage dont, de toute manière, elle n’avait rien à foutre. Pourquoi n’était-elle pas rentrée à Alola, dans la ferme de ses grands-parents ? Elle y avait toujours été heureuse, aussi loin qu’elle se souvienne, malgré les remarques blessantes des gamins de l’île et ses oncles bouffés par la jalousie. Comment tout avait pu basculer ? Valentine resserra ses bras autour de ses jambes maigres et posa le menton sur ses genoux cagneux. L’introspection était douloureuse, ça lui semblait remonter à si loin. L’absence de sa mère, l’annonce de sa mort, l’héritage où son nom ne figurait pas, la découverte d’un frère que personne ne connaissait, les mots de ses oncles ancrés dans sa tête -
bâtarde - et sa colère qui avait éclaté si fort qu’elle avait frappé le notaire. La maison de correction, à Hoenn. Le Professeur Seko,
son père. La Team Aqua. Seko. Et son arrivée ici il y avait déjà deux ans. Elle n’était jamais retournée à Ohana.
Elle avait fuit, elle qui s’était pourtant promis de ne jamais ressembler à sa mère.
Valen essuya rageusement ses joues humides. Et merde, et voilà que le vent la faisait pleurer, en plus de ça. Quelle semaine merdique. Elle attrapa son téléphone dans la poche de son coupe-vent ; pas de messages. Elle en tapa un pour son grand-père, demandant plus directement des nouvelles. Peut-être devrait-elle rentrer…
Qu’est-ce qui la retenait encore ici ?