Faites de beaux rêves ♥

Hébergement gratuit. Ces deux mots suffisaient à attirer le célèbre, fabuleux Neal Aster, apprenti pâtissier complètement fauché. On ne l'autoriserait pas à dormir dans la cuisine de son lieu de travail et, dans tous les cas, il préférait dormir dans un vrai lit plutôt que le glacial inox des plans de travail. Comment avait-il eu vent d'une telle aubaine ? Oh, il s'était contenté de se promener du côté du vieux village d'Elara. Si il y avait quelques enfants ici, ils devaient s'amuser comme des fous. Les lieux petits, les ruelles qui s'entrecroisent, les vieilles maisons un peu délabrées et lugubres, mais sûrement remplies de vieux meubles dans lesquels se cacher... certes, pour un jeune couple, c'était pas la joie. Mais les... gens comme lui appréciaient ce genre de villages.

C'était à ce moment que le blanc était tombé sur la bâtisse. Sombre, aux murs légèrement gris, ternes, voire abîmés par endroits, il semblait plus vieux encore que la ville elle-même. Impossible de le manquer ; les lieux semblaient posséder une aura lugubre à souhait, sans manquer de charme pour autant. Tout près du bâtiment, une petite pancarte, que peu auraient repérée, affichait "Hébergement gratuit pour la nuit ! Venez nombreux !" Wow, ils n'étaient pas très doués niveau publicité. Enfin, tout le monde n'avait sans doute pas les moyens de se payer d'énormes spots publicitaires. Heureusement que le gentil petit Neal avait un œil de faucon. L'heure pour lui d'aller s'amuser un peu à l'intérieur...

Il était donc entré, avait posé nonchalamment son coude sur le comptoir poussiéreux, et avait demandé une des chambres gratuites, d'une voix de miel qui ne sembla pas perturber le vieux gérant. A sa grande surprise, il n'en restait qu'une. Eh bien, l'offre marchait mieux qu'il ne le pensait. Pas plus mal, plus on était de fous, plus il riait. On lui avait rapidement donné la clé de sa chambre, vers laquelle il s'était dirigé, tout sourire. Il suffisait de tourner la clé dans la serrure, et...

Oh. Il se serait attendu à plus spacieux. Non qu'il ait besoin de vivre dans un cinq étoiles, mais la taille et l'obscurité de la pièce le stressaient. Pas le genre de lieu qu'un claustrophobe comme lui appréciait particulièrement... Machinalement, il se dirigea vers la fenêtre, l'ouvrit, et tira les rideaux de lin pour laisser entrer la faible lumière du crépuscule dans les lieux. Ceux-ci restaient relativement obscurs, mais c'était déjà mieux que rien. Il n'était pas enfermé à clé, il ne manquerait pas d'air, tout allait pour le mieux. Du moins, c'était ce qu'il pensait.

Il sortit deux Pokémon de leurs Balls, Jung, puis Kafka. Pas qu'il apprécie particulièrement le mime, sa principale source de névroses après les espaces renfermés, mais il fallait bien le nourrir. Sans trop prêter attention au clown, qui affichait désormais une mine effrayée – étrange, Neal était-il plus stressé que ce qu'il avait imaginé ? Non, sans doute pas – il leur lança quelques gâteaux au miel, qu'il gardait toujours dans son sac. Suite à quoi il s'assit en tailleur sur le rebord du lit, et se mit à manger à son tour. Le matelas était confortable, mais il n'y avait qu'un oreiller... ils auraient quand même pu faire un effort, il ne demandait pas à être servi comme un prince, mais il aimait bien dormir avec deux oreillers. Ah, il ne lui restait plus qu'à faire sa drama-queen à l'accueil, ça le détendrait de toute manière. Mais d'abord, la nourriture.

A ce moment, il entendit le son de la porte s'ouvrant derrière lui. Un gâteau toujours coincé dans la bouche – il n'en avait pas mangé la moitié – il se retourna vers la personne qui venait d'entrer, une jeune fille rousse, plutôt jolie, d'à peu près son âge sans doute. Femme de ménage ? Elle n'avait pas l'air d'en être une, mais alors pas du tout. Ou alors ils payaient très bien leur personnel. Dans tous les cas, on rentrait ici comme dans un moulin. Certes, il n'avait pas fermé à clé par stress, mais ce n'était pas une raison de rentrer. Tiens, il allait lui en faire baver, pour la peine. Bien fait pour la demoiselle. Un sourire radieux sur les lèvres, le garçon aux yeux de jade l'accueillit :

"Bonsoir, mademoiselle !"

Il se leva, posant promptement ses gâteaux au miel sur la petite table de nuit placée juste à côté. Il s'avança un peu vers l'inconnue, les mains dans le dos.

"Que me vaut cette visite ? Je ne pense pas que ce soit l'heure du service petit-déjeuner, et vous êtes venue les mains vides…"

Restait à espérer qu'elle ait le sens de l'ironie. Dans le cas contraire, il était mal barré. Ou l'était-il de toute manière ?

Franchement. Passer une nuit à l'hôtel d'Alera alors qu'elle habitait à quelques rues seulement de l'établissement, ça pouvait paraître un peu bête. C'était bête. Malheureusement, quand on était journaliste, on n'avait pas toujours le choix de la raison. C'était bête, mais elle n'avait pas le choix, point. Cette semaine, pour attirer plus de monde dans sa ville, l'unique hôtel de l'est de l'île proposait un hébergement gratuit pour tout le monde, à la seule condition de venir. Logique. C'était donc en traînant un peu des pieds que la jeune fille se rendit en soirée devant la grande bâtisse. Vraiment, depuis quelques années qu'elle résidait sur l'île, ce vieil hôtel lui avait toujours donné froid dans le dos. Pourtant, la rouquine remarqua qu'ils avaient pour une fois fait un léger effort de présentation. La devanture de l'hôtel était moins rongée par les plantes grimpantes qui y poussaient et ils avaient nettoyé la mini décharge qui se trouvait devant la semaine dernière. Peut-être avaient-ils fait des travaux à l'intérieur ? … bon. Elle allait arrêter de râler et entrer, on verrait bien. De toute manière, elle devait rédiger un article sur le sujet et pas question de se défiler. Honneur de journaliste.

L'apprentie avait tout de même sorti Rune, son Aquali, à ses côtés, juste au cas où. Et c'est armée de son seul sac à dos qu'elle entra dans le vieil hôtel. L’œuf bleu que lui avait donné le professeur Palm était resté bien au chaud à la maison, sous la surveillance de son jumeau.

« Bonsoir, mademoiselle. »

Fit une voix qui la fit sursauter. Elle venait du comptoir et Romane, trop occupée à regarder les moindres recoins sombres de l'hôtel n'avait pas aperçu le vieux gérant caché derrière le comptoir. Enfin, il n'était pas forcément caché mais là, ça avait semblé tout comme. Elle échangea un regard avec son Aquali et s'approcha.

- Bonsoir... Je voudrais une chambre pour la nuit, s'il vous plaît. J'ai lu dehors que vous proposiez des chambres gratuites cette semaine.

Le vieil homme lui jeta un coup d’œil derrière ses vieilles lunettes puis se pencha sur le gros livre qui devait lui servir de référent. Cela n'étonna pas la rouquine qui aurait été davantage surprise de voir ce vieil homme aussi délabré que son hôtel se pencher sur un ordinateur ultra performant. Enfin. Un certain silence s'installa alors, tandis que l'homme déchiffrait son écriture penchée dans le but sûrement de savoir s'il lui restait une chambre de libre. Romane voyait bien des clefs derrière lui, mais après tout, ça pouvait tout aussi bien n'être que des doubles. Elle crut alors bon d'ajouter :

- En fait, je suis journaliste. Je voudrais faire un article sur votre hôtel, il sera publié dans la Gazette de l'île.

Le gérant la regarda alors, surpris, puis sans rien ajouter, il se retourna et lui tendit une clef. Romane fut un peu décontenancée. C'est bon, elle avait sa chambre ? C'était aussi simple que ça ? … bon. Un dernier coup d’œil perplexe au vieil homme, puis la jeune fille monta alors l'escalier à la recherche de sa chambre. Elle jeta un coup d’œil au numéro inscrit sur la clef et grimaça. Chambre treize. Ben voyons. Inspirant, elle monta encore un étage avant de trouver sa chambre, hésita une seconde, tourna la clef dans la serrure – tiens, c'était déjà ouvert ? - puis entra.
Pour trouver la chambre déjà occupée.

"Bonsoir, mademoiselle !"

Un jeune homme blond, sûrement de son âge et ressemblant assez, de loin, à son jumeau, se tenait devant elle. Perdue, Romane regarda autour d'elle. Un sac, deux Pokémon, un paquet de biscuits... la chambre semblait occupée depuis un petit moment déjà. Ce n'était donc pas la sienne ? Perplexe, elle regarda sa clef, le numéro inscrit sur la porte. Si, chambre treize. C'était bien ça.

- Je...

Bafouilla-t-elle, mais le garçon qui s'avançait le devança.

"Que me vaut cette visite ? Je ne pense pas que ce soit l'heure du service petit-déjeuner, et vous êtes venue les mains vides…"

Romane lui jeta un regards des plus perplexes, avant de comprendre. Ah, la prenait-il pour une femme de chambre travaillant pour l'hôtel ? La jeune fille replaça une mèche rousse derrière son oreille et secoua aussitôt la tête.

- Excusez-moi, je... Non, je ne travaille pas ici.

Elle lança un nouveau regard perplexe à sa clef et la désigna au garçon.

- Je viens de prendre une chambre en bas. Et visiblement, on nous a donné la même...

Faites de beaux rêves ♥

" Excusez-moi, je... Non, je ne travaille pas ici."


Comme si il ne s'en doutait pas. Il n'était pas stupide, quoique ça ne le dérangeait pas d'avoir l'air d'un parfait idiot. Ainsi, il ne releva pas. La rouquine lui lança un regard perplexe. Vous savez, ce genre de magnifique expression qu'affiche quelqu'un lorsqu'il se retrouve dans une situation totalement incompréhensible, ou en l'occurrence face à un monstre de sarcasme et de mauvaises plaisanteries. Le jeune homme jeta un coup d'oeil furtif à Kafka ; le Mime Jr, lui, ne cessait de lui rappeler celui qu'il était avant, un être morne, violent, stupide, sérieux... détestablement ennuyeux. Et un criminel par dessus le marché, mais cela, il préférait éviter d'y penser, où il lui faudrait toute une bonbonne de tisane pour se détendre après avoir cogité dessus. C'était bien pour cela qu'il méprisait profondément la créature, quoique son léger stress à l'idée d'être enfermé dans cette pièce n'y était pas pour rien.

" Je viens de prendre une chambre en bas. Et visiblement, on nous a donné la même..."

Il se retourna de nouveau vers la demoiselle. Toujours aussi perplexe, elle lui désignait sa propre clé. Il détourna les yeux vers la sienne, après l'avoir sortie de sa poche. Treize. Comme celle de l'inconnue. Ben oui, il n'y avait pas d'erreur. Tant mieux, au fond. Même si elle était mignonne comme tout, se retrouver face à une fangirl ayant complètement succombé à son charme d'Apollon – cette pensée stupide et totalement narcissique lui arracha un sourire – lui aurait fait très peur. Ce n'était pas comme si la présence de son abominable Mime Jr, le manque de lumière et l'absence presque complète d'issues ne lui donnait pas l'envie monstrueuse d'éclater d'un fou rire nerveux. En tout cas, le pépé au comptoir d'en bas commençait à avoir quelques problèmes de mémoire. Donner la même clé à deux personnes arrivées à... quoi, cinq minutes d'écart ? Un véritable record niveau trou de mémoire. Le problème était... comment allaient-ils faire, tous les deux ? Bon, partir ne posait pas de souci, la chambre était après tout gratuite pour la nuit. Mais il préférait rester. Il n'avait pas les moyens de se payer un autre hôtel, et... rester toute la nuit à errer dans ce village sinistre ne l'excitait pas franchement. Sans compter que sa royale personne avait besoin d'un certain temps de sommeil. Il bossait, lui. Et tôt, merci aux horaires atroces de la pâtisserie. Bon, le lendemain était un jour de congé, mais... il n'en avait pas moins besoin de dormir.

Sortant de ses pensées pour refaire face à l'inconnue, il lui adressa un sourire en lui annonçant :

"Je vous préviens, je ne dors pas par terre. Courtoisie ou non."

Il rit doucement. Le rire détend, vous savez ? C'est scientifiquement prouvé. Enfin, c'est ce qu'il croyait, il avait dû le lire dans le journal. Pas qu'il ait confiance en des journalistes, cela dit. En qui que ce soit.

"Je plaisante, je plaisante, assura-t-il. Cela dit, c'est embêtant. Faudra qu'on passe à l'accueil pour demander quelques explications. Si ça te gêne tant, je peux faire un scandale et rameuter la police, mais c'est à toi de voir."

Généralement, il serait plutôt du genre à faire une belle crise, mais il n'avait pas spécialement envie de quitter la chambre. Juste de manger et de s'installer confortablement dans son lit. Ce qui semblait légèrement compromis, en fait, et s'attirer des ennuis, bien que cela paraisse terriblement attrayant, reviendrait probablement à ne pas dormir de la nuit. Enfin, là, tout de suite, il était en train de manger, et être interrompu lors de son repas n'était jamais agréable. Alors il retournerait tranquillement déguster ses fabulissimes gâteaux au miel, n'en déplaise à la rouquine. Ils se rassit donc sans un mot et recommença à manger. Relevant les yeux sur la jeune fille, il demanda :

"Bah quoi ? On a tout notre temps. Et c'est très mauvais pour la digestion de s'interrompre en plein repas, uh. Cela dit, si vous en voulez, servez-vous. Je vous rassure, ajouta-t-il avec un sourire sarcastique aux lèvres, pas la moindre trace de cyanure dedans. Je suis un pâtissier de qualité, moi. Et le lit est plus confortable qu'il en a l'air. Asseyez-vous donc, je promets que j'ai pas mis de punaise sous le drap."

L'occasion de se vanter devait toujours être saisie selon Neal, toujours. Même si il n'avait en réalité aucune fierté dans le fait d'être pâtissier, challenger de Colosseum avait même plus de classe. Enfournant un nouveau gâteau dans sa bouche, il demanda :

"Au passage, c'est quoi, votre nom ? Désolé si ça parait trop brusque, ô délicate damoiselle, mais j'aime bien savoir à qui je m'adresse. Pour ma part, on m'appelle Neal. Enchanté, je… suppose."

Oui, il aimait bien savoir le nom des gens, et aussi plein, plein de détails inutiles sur eux, mais c'était un détail, allons. En tout cas, il était curieux de savoir comment ils allaient se sortir de cette situation pour le moins... étrange. Ahah, avec un peu de chance ils dormiraient dans le même lit ! Enfin, chance. Lui, ça avait plutôt tendance à le névroser. Pas qu'il ait peur de jouer les Casanova, c'était même plutôt rigolo, mais parano comme il était, une quelconque présence étrangère dans un lit lui étant destiné était plus stressant qu'autre chose.

"Je vous préviens, je ne dors pas par terre. Courtoisie ou non."

Romane afficha une mine royalement surprise. Bon, au moins, le ton était donné... Sous-entendait-il qu'ils allaient dormir ici, ensemble ? Voilà une personne qui ne manquait d'aucune audace. Quelque peu dérangée dans ses plans du soir, la rouquine fronça légèrement les sourcils, réfléchissant en même temps au plan B qu'elle n'avait absolument pas conçu. Que lui restait-il à faire ? Retourner en bas et réprimander le gérant de l'hôtel ? Rentrer chez elle sans article, ce qui voulait dire sans prime de fin de mois ? Accepter l'invitation très personnelle du blondinet ?
Mais ce dernier la rassura presque aussitôt d'un léger rire qui parvint à la mettre un peu en confiance.

"Je plaisante, je plaisante. Cela dit, c'est embêtant. Faudra qu'on passe à l'accueil pour demander quelques explications. Si ça te gêne tant, je peux faire un scandale et rameuter la police, mais c'est à toi de voir."

De nouveau, la rouquine afficha une mine surprise avant de se passer une main fatiguée sur le visage. Second degré, elle en manquait quelque peu.

- Je ne pense pas que ça en vaille la peine...

Un léger soupir franchit ses lèvres, tandis qu'elle regardait dans ses mains la clef similaire à celle du garçon. Et puis, pourquoi proposer deux fois une même clef ? N'y avait-il pas qu'un seul exemplaire de chaque clef numérotée, outre le double que devait normalement posséder le gérant ? C'était insensé. Un léger bruit de cassure attira son attention, et elle leva le nez, apercevant l'autre qui était retourné s'asseoir sur son lit pour manger des biscuits. … bon.

Avec ses manières à lui – elle commençait à s'y faire -, le blondinet l'invita à entrer, à s'asseoir et même à partager son repas, ou goûter. Un instant mal à l'aise, Romane finit par faire un pas dans la chambre, hésita une seconde, puis entra franchement et referma la porte derrière elle. Elle posa contre le mur son lourd sac, lequel commençait à se montrer douloureux sur son épaule.

- Merci, répondit-elle. Je m'appelle Romane... enchantée.

Elle ne vint pas s'asseoir cependant, et jeta un coup d’œil bien embarrassé autour d'elle. Quelle soirée... Mais déjà, son œil avisé observait chaque recoin de la pièce, avisa la qualité du matelas, la propreté des lieux, la chaleur de la chambre. Et zut, elle ne pouvait pas rentrer comme ça. Son article était attendu dès demain après-midi. Elle soupira et regarda le dénommé Neal.

- Je vais être franche avec toi, je ne peux pas repartir et rentrer chez moi comme ça. Je suis journaliste, enfin, apprentie, et j'ai un article à faire sur cet hôtel... l'occasion d'une chambre gratuite était à prendre, et il s'agissait de la dernière de libre...

Dit comme ça, ça sonnait presque comme une tentative de le virer de cette chambre, ce qu'elle voulut contredire tout de suite en passant une main gênée dans ses cheveux.

- Enfin, tu étais le premier sur place, alors... … si ça ne te dérange pas, je pourrais peut-être rester ici ce soir ? Que je me fasse au moins une idée de la chambre, pour mon article. Je repartirais quand tu iras te coucher.